TUlâire i 053
_.£r:i.a
ACTEIII, SCÈNE XI.
LAURENT DE MÉDICIS,
TRAGÉDIE EN TROIS ACTES,
pur Ml. Ceott Oertranî),
REPRÊSEÎiTÉE POUR LA PREMIÈHE FOIS, A PAl'.ls, SUR LE THF.ATRE-FnANÇAlS ".E 24 iOLT t839.
A MON DIGrJE A!%II JOAI^'NY,
TÉMOIGKACE D'KSTIMF. ET DE Rb:CO^^AISSA^■(:^•. .
L. B
Pc fuient e iiiio, non <Jr/iiil .iller.
PERSOyyjGFS.
LK DU€ ALEXA>'nRE DE
Ml-:DICIS,tyrande Florence. M.
LAUKEKT 1)K MÉDICIS,
favori el lieulenaDt du duc. . M.
PIEKRK SinaZZI, fils de
Pliilippe Slrozzi, exile'. . . , »j'
SCOnOUCOULO, bravo napo-
lilain M.
LK COMTE OTTAVIO MAN-
KIEUI . prcsidenl du cunscil
des <|ii.ir;iii(e M.
UN HIJISSIKH M.
^CTEUliS.
Geffrot.
Beauvali.et.
LOCKKOV.
MAiLLAnr.
J0i^NY.
Prf.vxnne.
Al.KXANDKE.
PEhsuy]s.ici:s.
■I cri-: uns
.Io\NNlS.
L. Mo. Ml os
La seine se passe à Florence , le 6 janvier I 536.
PAUDOLFC) , \ deux autres / M,
BRAMANTE, / l>iavi. \ M.
JUAN A GINORI, nurrfuise do
Leva , dame dlidniieur i!<»
Marguerites d'Anlriilic , du-
cliesse de Medicis M"' Noni,i:T.
l.UCRKCIA, sa camprisle. . . M"" Iuiaahd.
QUATBE ShNATELCS OuCoN- )
SEILLERS I
AlesAndbE VitkLH çouvcr- ^ |iorsoiiiiagrs niuels
neur de Florence, comniaii- 1
dant de la lilailflle. . . . '
Courtisans, Soldats et AnciiEr.s de la g.irje du ouc.
ACTE PREMIER.
Le ihe'àlre représente la salle du conseil , dans l'inlerieur de la citadelle de Florence. A gauclie de l'acteur, des sie'ges el
une tïble destines aux membres du conseil. A droite , en face, d'autres sièges réserves au Duc ; et une tal>L sur la-
quelle Sont epars «lilierens papiers ou parchemins. Il est environ liuit heures du matin.
SCENK PllE"MIi:UE.
LAURENT DE Ml'biCiS. Siuldabord, PIERRE
STIVV'ZZl, un in.sunn npriKi,
Au lever du rideau, Laurent est assis à la table de droite,
absorbe par la lecture de rjuelijues papii rs. Un huissier
ouvre la porlcdu fond, nionlrc Laurent à l'ii ne Stroiii,
déguise' sous une loniiup cape à l'espannole Celui-ci
entre, vient sans J)ruit se placer derrière le lieutenant
du Duc, et lui fiappe doucetneul sur l'epiule.
l.ACnr.NT, lonniaiil la tdle.
Eh auoi! l'csi vous, Stiozzi! iJois-je en croire nips
[jeux?
MAGASI^' THEATRAL;
Vous, eiilé, proscrit, vous, banni de ces lieux,
Oser y reparaître! et quand une parole.
Un geste, un seul regard, d'une démarche folle,
Peut vous faire expier les périlleux hasards,
C'est ici, dans ces murs, au sein de ces remparts,
Sous la dent du lion, insensé, dans cet antre
D'où ne sort pas qui veut, bien que sans peine on
Que vous venez, bravant un pouvoir irrité, [entre.
Risquer ou votre vie ou votre liberté?
Çà, quel jeu jouons-nous, mon jeune téméraire,
Pour relancer ainsi l'aigle au fond de son aire?
Et quel complot secret ou quel amour nouveau
Cachons-nous sous les plis de cet ample manteau?
Venons-nous pour le duc, ou bien pour quelque
STROzzi. [belle?
Pour Florence d'abord... c'estlà ce qui m'appelle.
LAURENT
Donc nous eonspirons ?
STROZZI.
Oui.
LAURENT, à part.
Qu'entends-je?
Haut.
Et c'est Laurent,
Moi, le bras droit du duc, son plus cher confident.
Que par un tel aveu vous prenez pour complice?
STROZZI.
Non : c'est Laurent, jadis l'ami de la justice,
Le défenseur du peuple, et le plus ferme appui
Des droits saints que l'ingrat abandonne aujnur-
[d'hui;
Laurent, ce Médicis au cœur plein de noblesse.
Le frère des Strozzi, l'ami de leur jeunesse,
De la vertu comme eux le zélé partisan;
Je parle à l'homme enfin, et non au courtisan.
LAURENT.
Et si, le courtisan étouffant en moi l'homme,
J'allais vous dénoncer, que diriez- vous?
STROZZI.
La somme
Quimetmesjoursàprix, entre nous, ne vaut pas
La honte qui naîtrait pour vous d'unfaitsi bas...
D'ailleurs ce serait là par trop mal reconnaître
Le dévoûment...
LAURENT.
D'un fou.
STROZZI.
Qui pour toi s'est fait traître,
Laurentl
LAURENT.
Traître, vous î
STROZZI.
Moi, traître à mes sentimens.
Traître à la fol jurée, à l'honneur, aux sermcns I
Traltreaux hommes, à Dieu, traître à tout ce qui lie
lin véritable enfant de la jeune Italie!
Ëcoute: jamais toi, tu ne connus l'exil,
K'csl-ce pas T Mis au ban comme un coupable vil.
Tu n'as jamais, le jour, traîné la vie errante.
Et rêvé dans tes nuits de la patrie absente?
Le cœur sans cesse en proieàdcs pensers de deuil,
Ver» l'horizon tourné, l'interrogeant de l'œil.
Tu n'as jamais cherché, trop heureuse méprise!
De loQ pays natal à respirer la brise ,
Et suivi de tes vœux un nuage léger
Qui sur l'aile des vents semblait s'y diriger...
Moi, partageant des miens les tristes destinées,
Commeeuxproscrit, ami, j'ai souffert cinq années»
J'ai vu de ville en ville, un citoyen si grand !
Tel qu'un hôte trop lourd, chaque jour émigrant.
Mon vieux père réduit au sort de Bélisaire,
Prêt à tendre son casque au denier populaire.
Te dirai-je nos maux, nos soucis, nos dangers,
Sousuncielinclément, sur des bords étrangers?
Te peindrai-je mes sœurs, ces frêles créatures,
N'opposant au destin ni plaintes ni murmures;
Mes frères se formant au métier des combats,
Ct pour la liberté recrutant des soldats?
Un soir... je revenais alors de Barcelone,
Au nom des exilés, où vers une personne
Que je ne dirai pas pour sauver son honneur,
On m'avait délégué, moi, Pierre, ambassadeur.
Mécontent et du maître et de ses fiers ministres.
Qui m'avaient éconduit, plein de penserssinistres.
Je regagnais à pied et par de longs détours.
L'asile où se cachaient les auteurs de mes jours...
J'entre. Que vois-je,ô ciel! en en tr'ouvrant la porte?
Un vieillard à genoux prés d'une femme morte !
Clarice Médicis, ma mère, ce grand cœur,
làuit morte en exil de honte et de douleur!
A ce spectacle affreux: «Aquoi bon tantdelarmes?
» M'écriai-je soudain. Vengeance,amis! aux armes!
)> Charles-Quint nous trahit; prouvons à l'univers
» Que sans lui nous pouvons encor rompre nos feis!»
Je dis, et, le bras droit levé sur la victime.
Je jurai de briser le joug qui nous opprime.
Mon père m'imita; lîenedelto Pazzi,
Ludovic Belmonte, Mario INIanfredini,
Tous les trois exilés, se firent mes complices;
Sous la foi des sermens, aux plus affreux supplices
Chacun de nous voua le lâche qui vendrait
De bouche ou par écrit cet important secret;
Et nous jurâmes tous de ne rien entreprendre
Avant d'avoir frappé...
LAURENT.
Qui?
STROZZI.
Le duc Âlexanore.
LAURENT.
Le duc?
STROZZI.
Avec cet homme un autre homme était mort,
Laurent, aussi coupable et digne d'un tel sort :
C'était toi : de tes jours nous avions fait le nombre ;
Le corps ne peut tomber sans en traîner son ombre...
Par nous tous condamné d'un seul et même aveu,
A côté du tyran, marqué du doigt de Dieu,
Tu périssais aussi : le conseiller intime
Avait part à l'arrêt, ayant pris part au crime!
Dans te danger, pour toi, je me sentis touché;
Cardans le juge, hélas! l'ami restait caché.
« Oh! me dis-jc tout bas, Laurent fùt-il infàm»»
» De toutes trahisons eùt-il noirci son ame,
» Dans la fange du vice avec le duc plongé,
)'> De ses exactions, satellite gagé,
» £ût-il, la nuit, couru l'orgie et la dcbauch«.
LAURENT DE MEDIGIS.
» Le jour, pris à deux mains le glaive qui noua
[ fauche,
» Se fûl-il fait l'efifroi de tout bon citoyen,
» Isùl-il souillé sa couche et confisqué son bieni
» Je nepuis, oubliant tous nos rapports d'enfance,
» Perdant l'ameet le corps, le tuer sans défense.»
Ainsi me suis-je dit : et, trahissant l'honneur
Pour l'amitié, vers toi je suis venu sans peur.
Ta vie était à moi, j'en étais bien le maître;
La mienne t'appartient : cours, va faire connaître
A quels destins par nous le duc est réservé,
Et perds, en le nommant, celui qui t'a sauvé.
LAURENT, lui tendant la tnain.
Strozzi, voici ma main : ton dévouement sublime
Mérite plus encor que ma voix ne l'exprime;
Mais parle, etj'obéis... Que puis-je, ami, pour toi?
STROZZI.
Délivrer la patrie en frappant avec moi...
LAURENT.
Quoi! tu veux...
STROZZI.
Si j'étais en présence d'un autre,
De notre cause ici m'établissant l'apôtre.
Je pourrais essayer, par quelque adroit tableau,
D'enrôler dans nos rangs ce disciple nouveau :
Mais qui la connaît mieux, celte cause si belle.
Que toi, qui si long-temps, ami, lui fus fidèle?
N'es-tu donc plus Laurent, ce fier républicain
llanni par Clément sept de tout l'étal romain ?
N'es-tu plus ce héros, ce digne et noble émule
Des Cinna, des Caton, des Gracques, des Rutule?
Cet esprit ferme et droit, dans l'élude nourri.
Qui fis de ces grands noms ton culte favori?
Qui t'illustras comme eux par l'ardente pratique
De toutes les vertus d'un citoyen antique;
Et qui, jadis, voulant donner une leçon
A nos fils, des Romains triste contrefaçon 1
Décapitas la nuit tous les marbres de Rome,
Ne laissant seul debout que Brutus ce grand
[ homme I
LAURENT.
De tous ces temps, Strozzi, comme tu te souviens!
STROZZI.
Je n'ai rien oublié... ni nos longs entretiens.
Alors que vers le soir, assis aux bords du Tibre,
Nous consultions tous deux les lois d'un peuple
[ libre;
Ni nos excursions sur le mont Aventin.
Où Rome sans sénat vint camper un malin. .
Je me rappelle tout : je sais nos espérances,
Nos discours, nos projets et nos saintes croyances;
Ma mémoire est enfin telle qu'au premier jour.
Fais comme moi, Laurent, souviens-toi... c'est
[ton tour.
LAURENT, avec entraînement.
Eh bien ! oui ; j'obéisàla voix qui m'appelle...
STROZZI, les yeux au cirl.
Il restait dans son cœur une noble étincelle !
LAURENT.
Je conspire avec toi.
STROZZI, lui tendant la main
C'est convenu...?
LAURENT, la prenant.
C'est dit.
STROZZI.
Devant Dieu î
LAURENT, tirant sa dague, dont la poignée est en
croix.
Surle Christ! etquejesois maudit.
Que je meure en ce monde et sois damné dans
[ l'autre,
Si Laurent jusqu'au bout ne demeure le vôtre!
Les noms des conjurés? Manfredini, Pazzi,
Belmonte, n'est-ce pas?
STROZZI, déchirant une page de ses tablettes.
De ma main, les voici...
LAURENT.
Où vous concertez-vous?
STROZZI.
Au lion de Florence,
Ce papier te le dit.
LAURENT.
Quoi ! si près ?
STROZZI.
Par prudence
Nous avons à dessein choisi cette maison :
Plus le danger est près, moins on a de soupçon.
LAURENT.
J'y serai dans une heure.
STROZZI.
Une heure soil... j'y compte.
A mesamis, les tiens! c'est loi qui reiidrascompte.
Pour les mieux élonner, de tout noire eiitreiicn ;
Et jusqu'à ce moment, je ne leur dirai rien.
LAURENT.
C'est bien.
STROZZI.
Au revoir, frère ..
LAURENT.
A bientôt.
Il tend la main à Strozzi et le reconduit ainsi enl.ice jus-
qu'à la porte ; arrive' là, il lire sa dague, et dit :
C'est l'usage
Que tout pacte d'honneur se scelle [.ar un gage:
Je ne puis mieux, ami, t'assurer de ma foi
Qu'en te donnant ce fer... il est pur comme loi.
Si je te trompe, un jour par les mains iju il te
[ venge!
STROZZI, la recelant, et tirant .toti poiiinard.
Merci, frère. Voici mon |)oignard en échange.
11 sort.
SCENE II.
LALRENT, seul, cjcaminant l'arme de Strozzi,
Forte laine, ma foi... qui saurait droit au cœur
Se frayer sans effort un passage vain(iucMir,
El dont il ne faudrait, si la main était sûre.
Que deux bons pouces misau défaut de l'armure!
() Pierre! par ton nom, sur cette arme Iracc,
Par cet instinct d'ami qui vers moi l'a poussé.
Le jour m^ine où ma main à frapper était pr^te^
Tu n'auras point en vain su proU'gor ma télé t
Tu vas l ombariiucr loin: le meilleur matelot.
MAGASIN THEATRAL.
SurccllemerJ'écueils que l'on nomme un complot,
Asouvenlfaitnaufrage: eh bienlvogue, complote,
Le gouvernail en main, moi je suis ton pilote;
Je enrouerai ta voile an souffle dece vent,
Qu'aux parages des cours on voit changer souvent;
Et si. chacun de nous, à son poste, à son œuvre,
Rien ne vient entraver notre habile manœuvre;
Si.luana (îinori, la sirène à l'œil noir,
A la i)rouc avec nous veut bien venir s'asseoir;
Si Dieu nous sert enfin, car Dieu seul est le maître!
Avant demain au port nous entrerons peut-être.
SCENE III.
LAUREM, SCOROUCOULO.
SConoucoiLO. que le dentier mot a frappé.
Pourquoi [leut-étre. ?un mot si vague, si douteux?
Fi donc : dans notre langue....
LAUKHNT, se reioumanl, à part.
Ah! ah; nous sommes deux!
sconoucocLo.
Si j'étais comme vous un maître irréprochable,
Seigneur, je proscrirais ce terme abominable.
Peut-être... eh! mais, est il un galant cavalier,
S'cxaminanlde la lêleaux pieds avec complaisance.
Rien tourné, bien bâti, tant soit peu régulier.
Avant à son côté bon styiet de Tolède,
(^)ui connaisse un tel mot et l'appelle a son aide?
Pour ma part.
Avec emphase.
Et pourtant l'on n'est pas fanfaron.
Je n'ai jamais aimé ce vilain mot poltron.
LAL'IIKN T.
Rien I mais moins de discours. As-lu fait mon mes-
scoRoucocLO. [ sage?
En homme intelligent, et vous-même, je gage.
Par vosamoursdislrait, l'auriez moins bien rempli;
Jai votre affaire...
LAURENT.
Bah !
SCOKOLCOULO.
Ça n'a pas fait un pli.
LAUttENT.
Une maison sûre ?
scououcoui.o.
Oh : une retraite telle,
Qu'il la faut à l'amant pour y 'acher sa belle.
Alors que redoutant les regards des jaloux,
Il usurpe des droits dérobés à I époux.
Petite porte basse au fond d'une ruelle,
Escalier raide et droit, où l'on monte à l'échelle.
Fenêtre sans voisins, prenant jour sur l'Arno;
Enfin, un vrai boudoir, où moi, Scoroucoulo,
Enjetanl sur le fleuve un œil tant soit peu louche.
J'ai souvent attendri mainte beauté farouche.
LAUIIENT.
Ah! lu connais l'endroit?
SCOiioLCOULO, avec falniti'.
Oui, soit dit entre nous,
C'est là que j'ai toujours donné mes rendez-vous.
LAURENT, ironiquement.
Je suis tlalté, mon cher, que ma bonne fortune
Entrouvre à nos amours une porte commune.
Et combien, toi, qui sais les prix de la maison.
Me louera-t-on ce temple?
SCOROUCOULO.
Ail! datne, c'est selon ;
La maison est courue et souvent a leiuliere...
Dans le jour ce n'es tri en, mais la nuit est plus chère.
Pour quel temps louerez-vous?
LAURENT.
Pour trois nuits et trois jours.
SCOROUCOULO.
Par le pape, il se peut? quelles rudes amours!
Après avoir compté un instant avec iui-nicn.e.
Ce sera dix ducats .. encore si l'hôtesse
iMaître de tout chez elle a ce prix-la vous laisse;
C'est par égard pour moi, que la vieille connaît,
El qui de vous ai fait le plus charmant j orirait.
Vous serez roi du lieu, mon digne gentilhomme ;
Vous aurez le premier, lesecond, loutén somme,
Excepté toutefois un petit pavillon
Au logis attenant, que ce malin, dit-on.
A retenu d'avance une honnête pratique...
LAURENT.
Ah I diable! on n'est pas seul ?
SCOROUCOULO.
Si fait.
LAtUhM.
On conmuinique?
SCOROUCOULO.
Non pas certe, ou du moins ci'la dépend devou-i;
Un passage secret en bas ferme aux verroux.
Et s ouvre [lour vous seul.
LAURENT.
.M'en réponds-tu? j'arrête...
SCOROUCOULO.
J'en réponds.
LAURENT.
Pour ce soir que la maison soit prêle.
;\Iais surtout, bouche close, et qu'on ncsachcrien.
Là-dessus, pas un mot...
SCOROUCOULO.
Je vous le promets.
LAURU.NT.
Bien.
Puise.
Il se jieut qu'avec moi... tanttU je te convie ..
Tu m'as raird'ung.ii!lar(l(iuii'ompreiidbicn la vie.
SCOUOICOULO.
Oui...
LAURENT.
Tu m'es dévoué?
SCOROUCOULO.
Comme l'est à Satan
Paul trois, notre saint père, assis au Val can.
LAURENT.
! En temps et lieu, je crois, tu me rendrais serviceT
SCOROUCOULO, viveuwni.
Aux dépens de mon sang...
LAURENT DE MÉDICIS.
lADRENT, avec doute,
Oii!
SCOROCCOtILO.
Le beau sacrifice!
Ce n'est là qu'un prêté, maître, pour un rendu.
A Naple, un Jour, sans vous... n'étais-je point
LAURENT. [pendu?
C'est juste. .. et cette fois, je puis dire, sans blâme.
Que je fis deux grands vols: au diable je pris l'ame,
Et le corps au bourreau.
SCOROUCOULO.
Donc, je vous appartiens;
Donc, ces jours rachetés sont à vous, et non miens!
LAURENT.
Et tu les donnerais pour solder ma créance ?
SCOROUCOULO.
Tous... hors un qu'il me faut...
lAUREKT.
Pour qui?
SCOROUCOULO.
Pour la vengeance!
LAUREKT.
La vengeance, dis-tu ?
SCOROUCOULO.
Prononcez si j'ai tort :
L'tiomme dont le crédit faillit causer ma mort.
Et qui, pour un maraud, dont il s'est dit le maître.
Sans vous, tout droit aa ciel m'envoyait compa-
LAUREKT. [raître...
Eh bien?
SCOROUCOULO.
Lecroiriez-vous?
LAURENT.
Achève...
SCOROUCOULO,
Il est ici!
LAURENT.
Qui
SCOROUCOULO.
Cet homme...
LAURENT.
Cet homme?
SCOROCCOULO.
Eh oui! Pierre Strozzi!
LAURENT.
Tu l'as VU?
SCOROUCOULO.
De mes yeux...
LAIRENT.
Quand çat
SCOKOUCOLLO.
Ce matin même...
LAURENT, fcirjnant la surprise.
A Florence un Strozzi 1 son audace est extrême!
Es-tu bien sûr?
SCOROUCOULO.
Autant qu'on peut être certnin,
Lorsque, l'estomac vide, on a le cerveau sain.
Je l'ai touché du coude.
LAURENT.
OÙ?
SCOROUCOULO.
Prés de l'Annonriado.
Dans la rue Alcorde, lors de mon ambassade.
Nous nous sommes croisés... lui sortait, moi j'en-
[trais...
Et bien que sous sa cape il dérobât ses traits,
Bien qu'il s'enveloppât du plus sombre mystère,
La haineest clairvoyante... au long du monastère
Tandis qu'il s'effaçait, comme un adroit limier.
Auvent d'un ennemi j'ai flairé mon gibier.
LAURENT, à part.
L'imprudent! en plein jour ainsi courir la ville!
Que faire? il est perdu... près de cette ame vile
Tenter un noble appel? il ne comprendrait pas...
Me défaire de lui? j'ai besoin de son bras.
Haut.
Et qui retint ta haine, alors que, passant contre,
Tu vis ce traître? un lieu désert, où l'on rencontre
Peu d'indiscrets regards a cette heure du jour.
Tu pris peur?
SCOROUCOULO.
Moi? C'est bon pour un homme de cour,
LAURENT.
Alors dans quel dessein ?
SCOROUCOULO.
Je m'en vais vous l'apprendre.
Pour lui jadis pendu, je veux... le faire pendre!
LAURENT.
Ah! vraiment?
SCOROUCOULO.
Troc pour troc : je vais en plein conseil
Sur sa présence au duc donner ici l'éveil.
LAURENT.
L'idée est neuve.
A part.
Aux mains de cette bête fauve
Le malheureux est mort, si moi je ne le sauve :
Un seul moyen me reste... un seul... essayons-en;
Une fois Strozzi sauf, j'en reviens à mon plan.
Haut.
Ta n'as dit jusqu'ici ta rencontre à personne ?
SCOROUCOULO.
Personne, excepté vous.
LAURENT.
Écoute alors; raisonne
Tu vas livrer au duc un ennemi mortel :
Le duc reconnaissant, et c'est bien naturel,
T'aura bientôt payé ta double récompense...
Tu passeras au fisc, et l'autre... à la potence.
SCOROUCOULO, avec joie.
Vous croyez?
LAURENT.
J'en suis sûr... mais c'est le beau côté
Par oîi brille ton rôle.
SCOROUCOULO.
Oh : oh ! en vérité?
LAURENT.
Le cas où lo coupable est pris, où l'on l'arrête...
Si Strozzi, l'échappant, met à couvert sa tête,
Sais-tu ce qu'avant |)eu te revaudra l'honneur,
De t'êtrc fait tout haut son dcnonciotcur?
L'avant." ge llaiteur, immense, incontestable,
MAGASIN THEATRAL.
D'être bientôt au sec sous quelques pieds de sable.
Voilà l'autre côté... Vois, choisis maintenant,
Et corps à corps, pygmée, attaque ce géant.
SCOBODCOULO.
Mais comment faire, alors?
LAURENT.
Agir avec prudence,
T'en rapporter en tout à mon expérience.
Le veux-tu?
SCOROUCODLO.
Je le veux.
LAURENT.
Dans un instant, ici,
le duc vient pour siéger.
Lui préparant un siège et tout ce qu'il faut pour e'crire.
Dénonce-lui Strozzi...
SCOROCCOULO.
Par écrit?...
LAURENT.
Par écrit. A cet acte anonyme.
Qui, sans danger pour toi, prévient moins ta vic-
Pour contre-marque. . . [ time,
SCOROUCOULO.
Àh! oui...
LAURENT.
Tu joindras quelque objet.
SCOROUCOULO.
Quoi, par exemple ?
LAURENT.
Quoi? je ne sais.
Comme par inspiration.
Ton stylet.
Puis, le tout bien scellé, te mettant en demeure,
Au tribunal des huit tu t'en iras sur l'heure.
Sous la porte, en entrant, est un coffre de fer.
Gouffre toujours béant, vrai soupirail d'enfer,
Placé là comme un tronc pour recevoir et prendre.
Et de ses flancs d'airain ne jamais rien vous rendre.
Tu t'en approcheras, et, sans peur, de ta main,
Tu laisseras ainsi glisser le parcliemin.
Il laisse tomber le parcliemin sur la taljie.
SCOROUCOULO, le ramassanl et se disposant à
écrire.
Je comprends et j'écris.
Tout en e'crivant.
Vous êtes un grand homme!
Strozzi fuit, je me tais.. . il est pris, je me nomme.
C'est jouer à coup sûr.
LAURENT, à part.
Je n'ai pas mis au jeu!
Scoroucou1o,qui a fini d'écrire, joint sou slylel à sa di'non-
cialion, renferme le tout dans le parchemin, et consul-
tant Laurent.
Est-ce bien?
SCOROUCOULO.
LAURENT.
A merveille. Apporte-moi du feu.
Scorouroulo sort ; 2i peine a-t-il franclii la porte, que Lau-
rent ouvrcrapidoniciit Icpartlieiniuctcurtliic la IcUrc
cl le Stylet de Scoi yuioulo.
Pour frapper un tel cœur ton arme est trop im'*
[pure,
Mon brave! au fond des eaux, sa digne sépulture.
Qu'elle aille un jour l'attendre, ô spadassin bâ-
[tardl'
Il froisse la lettre contre le stylet, jette le tout par une
croise'c donnant sur les fosse's de la citadelle ; cela
fait, il prend le feuillet des tablettes de Strozzi qui
contient de la main de ce dernier la liste des con-
jure's, y joint le poignard qu'il a échangé avec lui,
et s'écrie :
Et maintenant, à moi! cet écrit, ce poignard.
Qui seront tes sauveurs en ce péril extrême,
0 Strozzi! noble ami.
Il les enveloppe dans le parchemin.
Dénonce tout toi-même :
Livre au duc un complot qu'il allait découvrir.
J'achète ton pardon par ce feint repentir :
Il le faut ! renversons ce frêle échafaudage...
En sous-œuvre avant peu nous reprendrons l'ou-
[vrage!
Comme il achevé, Scoroucoulo rentre et dépose unelampf
sur la table.
SCOROUCOULO.
Voilà...
LAURENT, cachetant le parchemin.
Bien... Cours aux huit.
Prêtant l'oreille.
J'entends monter, je croi,
Par l'escalier du duc.
SCOROUCOULO, S* approchant de l'escalier.
Oui, l'on vient.
LAURENT, lui remettant le parchemin.
Hâtc-toi.
Scoroucoulo s'éloigne. Une petite porte masquée s'ouvre
dans la boiserie. Le Duc parait.
M/VVV\VV\VWWVVV\VWVVVVV\V\VVWVV\VV\W\WVVWVWVWVVkVVW
SCENE IV.
LAURENT, LE DUC ALEXANDRE.
Pendant ([uc le Duc referme doucement la porte et met la
clef dans sa poche, Laurent,qui semble mettre en ordre
les papiers épars sur la table, ne le perd pas de Tue, du
coin de l'œil.
LAURENT, à part.
C'est bien lui.. . pâle encor d'une nuit de débauche.
Rentrant furtivement par cette porte à gauche.
Comme un loup ravisseur, qui, surpris par le jour.
Pour regagner son fort, honteux, prend un détour.
LE DUC
Que dis-tu là, Laurent? |
LAURENT, se levant. \
Je dis que votre altesse
Est en retard.
LE DUC, se jetant dans un fauteuiU
C'est vrai.
Il bâille ot s'étend cijjnmc un homme fatigué de plaisir.
Pardoiioe 4 ma paresse.!
LAURENT DE MÉDICIS.
J'étais si bien, vois-tu, qu'à regret, pour ce lieu,
J'ai dit, je le confesse, à ma retraite adieu...
LAURENT, monlranl les papiers. ]
Nos dossiers sont chargés. |
LE DCC, raillant.
0 pauvre esprit vulgaire!
A qui te dit plaisir, peux-tu répondre affaire?
Eli ! quel rêve as-tu fait, mon digne lieutenant?
Ta maîtresse te trompe avec quelque autre amant î
Tu perdis iiier au jeu, trahi par la fortune?
Seaux soucis I Tu le sais, notre bourse est com-
[mune.
Des femmes? on en a bien plus que tu n'en veux,
Et pour une perdue, on t'en donnera deux.
LADRENT.
Votre altesse est en verve !
LE DUC.
Oh! oui, sur ma parole!
Riant.
L'aventure est si drôle et l'intrigue si folle!...
£a amour, je suis dieu !
Il se lève.
Mais avant tout, mon cher^
Bien que dieu, je me sens un appétit d'enfer.
Appelant.
Holàt quelqu'un!
Entre un valet.'
Qu'on serve...
LAURENT.
Et le conseil?
LE DUC.
Au diable !
Le conseil attendra.
LAURENT.
C'est juste...
On. apporte une table sur laquelle un de'jeuner est servi.
Le Duc faitsigne.k Laurent de prendre place à ses côtés.
LE DUC.
Allons, à table.
Assieds-toilà, mon hôte, et, pour quelques instans.
Sois moins homme d'état... chaque chose a son
[ temps.
Tout en versant \ boire.
Devine d'où je viens...? Je te le donne en mille.
LAURENT.
De chez Maria Fiorli?
LE DUC.
Cette vertu fragile,
Dont l'époux s'est tué, dit-on, de désespoir?
Ob! non..
LAURENT.
DechezBianca?
LE DUC.
Bohémienne au teint Doir I
Eacor moins...
Riant.
Aht vraiment, j'en ai quelque scrupule.
Je reviens...
LAtRKNl,', —
LE DUC, mystérieusement.
Du couvent Sainte-Ursule l
O mon ami Laurent, quelles divinités
Que ces nonnes ! Tous deux buvons à leurs santés.
Il remplit le verre de Laurent, et trinque avec lui.
Voilà ce qu'il fallait pour nos amours changeantes l
Quels trésors inconnus I Les âmes indulgentes!
Tiens, ne me parle plus de nos beautés des cours,
De Juana Ginori, que tu vantes toujours,
Cette froide coquette, impassible statue, tue.
Qui de son grand œil noir complaisamment vous
Et qui, jouant après de grands airs de hauteur.
Prétend rester en tout une dame d'honneur.
Sur mon ame, il n'est rien, pour un amour qui s'use,
De plus gai, de plus neuf, de tel qu'une recluse!
Prendre à l'époux ses droits, c'est déjà bien, mor-
[ bleui
Mais c'est bien plus piquant de les voler à Dieu !
LAURENT, indifféremment.
Ainsi donc, c'est conclu : nous laissons la marqu ise,
Et nous nous retirons sans la place conquise ?
LE DUC.
Qu'en dis-tu?
LAURENT.
Moi, je dis, à parler franchement,
Que je la laisserais...
LE DUC.
N'est-ce pas?
LAURENT.
Oh! vraiment,
La retraitée ce point n'est pas sans quelque honte.
Mais il est des vertus qu'aucun soin ne surmonte,
Et par malheur pour nous, nous sommes dans ce
LR DUC. [ cas.
Ob! si je voulais bien...
LAURENT.
Vous n'arriveriez pas !
LE DUC.
Quoi 1 tu ne sais donc pas que cette ame rebelle
Aima, dit-on, Strozzi?
LAURENT.
Raison de plus; la belle
A ce premier amant peut-être songe encor.
Et d'un cœur tout constant lui garde le trésor.
LE DUC.
Tu crois? Mais qu'a-t-il donc pour charmer la traî-
Ce Pierre? Il n'est pas mal... [ tresse,
LAURENT.
Moins bien que votre altesse.
LE DCC.
Il compte vingt-six ans... j'en ai vingt-six aussi.
Il est proscrit. .. moi, duc l
LAURENT.
Il s'appelle Strozzi I
LE DUC.
Qu'est-co à dire î
LAURENT.
Qu'à lui ce qui fait qu'on s'attache.
C'est justement ce nom qui dans l'exil se cache :
Qu'il est d'autant plus cher qu'il est plus mal-
{heureux.
8
MAGASIN THEATRAL;
les femmes, monseigneur, ont le cœur généreux;
Qu'aujourd'hui rappelé, Strozzi rentre à Florence,
Demain Juana l'y \oit avec indifférence...
Qui sait même bientôt si son tendre intérêt
Sur un rival clément ne se porte en secret?...
LE DUC.
Peut-être as-tu raison, Laurent, et cette idée
D'employer la clémence est assez bien fondée.
Soit: en temps opportun nous verrons...
UN HUISSIER, annonçant.
Le conseil.
LE DUC, à Laurent.
Tu jugeras pour moi si je cède au sommeil..»
Entrent Vitelli et sa troupe. Les archers forment à la porte
une liaie que traversent deux à deux, les quatre conseil-
lers du tribunal des huit, le comte Ot ta vioManBe'ri, leur
président, en tête. Ce ce're'monial termine, les soldats
se rangent à droite, et les conseillers, placés à gauche a
côté de leurs sie'ges, attendent, chapeau bas, que le Duc
se lève de table.
WVWVVVWW%VVlWkVWVVVlW«\/WWVVXV A^VWWVW\tV\iVV\VWVW
SCENE V.
LAURENT, LE DUC, LE COMTE OTTAVIO
MANFIERI, l'Huissier du conseil.VITELLI,
'Commandant de la citadelle, LES QUATRE Con-
seillers DES Huit, Arcuers.
LE DUC, s'essiiijant les lèvres.
Aht je me sens refait 1
11 se verse une dernière rasade.
Ce Chypre est délectable!
LAURENT.
C'est du Falcrne.
LE DUC, après avoir bu.
Soit... je puis sortir de table.
11 se lève ne'anraoins avec dilficulle',commeun homme dont
la léte est un peu lourde, ets'appuyant familièrement
sur l'e'paule de Laurent.
A mal juger, en tout, rappelle-toi, mon eher,
Q ie rien ne porte autant qu'un repas fait en l'air:
Et si j'avais été le père d'Alexandre,
Philippe, ce grand roi, certes j'aurais fait pendre
La vieille, qui, prenant un temps inopportun,
Osait en appeler au roi Philippe à jeun!
Oq enlève la table ; pendant ce temps, le Duc va s'asseoir
à droite sur uu sie'ge plus élevé que les deux autres, fait
signe â Laurent et à Vitelli devenir prendre place à ses
côtes, puis s'adressaiit aux conseillers qui attendent en
face.
A nos places, messieurs, je vous donne audience...
Ceux-ci
ancnt leurs sièges.
Que dit-on de nouveau? que fait-on dans Flo-
[rence?
LE COUTE, se levant, «n papier à la main, d'une
voix grave.
Ce matin, six janvier mil cinq cent trente-six.
Les Quarante en conseil et trente contre dix.
Ont jugé les nommés Bai tholomé Corlone
Et Pierre Alemanni, convaincus en personne
D'avoir injurié le duc.
LE DUC.
Ils ont eu tort...
A quoi conclut l'arrêt?
LE COMTE, le faisant passer au Duc.
A la peine de mort.
LE DUC, le signant et le lui renvoyant.
C'est bien... Cette leçon saura, j'espère, apprendre
Si je suis un bâtard, moi, le duc Alexandre !
Après...
LE COMTE, un autre papier à la main.
Hier au soir, la ronde du prévôt
D'armes au quartier neuf a surpris un dépôt.
Cinq hommes en ce lieu tenaient leur conférence;
Et comme ils opposaient un peu de résistance.
On en a tué trois...
LEDUC.
Et les autres?
LE COMTE.
Soumis,
Dans la prison d'état sur l'heure ont été mis.
LE DUC, se levant.
L'audace de ces gens de jour en jour s'augmente,
Messieurs. C'est là le fruit d'une loi trop clémente.
Si, lorsque Charles-Quint, cet illustre empereur.
Séjourna parmi nous, j'ordonnai par honneur.
Ne trouvant pas de porte assez haute à sa taille.
Qu'on abattît pour lui tout un pan de muraille;
Si je permis par suite, et cela pour un mois,
Que chaque citoyen armé comme autrefois,
La pertuisane au poing, saluât son passage.
Et d'un peuple guerrier lui présentât l'image;
Par le même décret il fut bien entendu
Qu'à son départ tout fer, aux arsenaux rendu,
Ne demeurerait point en des mains inhabiles.
Pour servir d'instrument aux discordes civiles...
Point d'armes dans ces murs... je l'ai dit. Je le
[ veux.
Il se rassied.
LE COUTE.
Aux détenus que faire?
LE DUC.
Exiler chacun d'eux...
Est-ce tout?
LE COUTE.
Non, altesse... il rcsteà voussoumei;rr>
Deux placets...
LE DUC.
A demain...
LE COUTE, insistant.
On ne peut les remettre.
lE DUC, avec impatience,
'Vite alors.
LE COMTE, le premier placct à la main.
L'un des deux est au nom d'Uonesta.
La postulante expose aux juges deBalia
Que, rentrant tard chez lui, le vingt-quatre d'oc-
[ tobre ,
Son mari, doux, honnête, ouvrier sage et sobre.
Par vos gens attaqué sur le pont Saint-Esprit,
Et. jeté dans TArno, sans secours y périt...
"Veuve, elle reste avec trois cnfans en bas âge,.
Et voudrait cent ducats à titre de dommage.
LB DUC.
Cent ducats ! Elle est folle! A l'autre, s'il vous plaît.
On ne peut sur ce fait admettre de placet.
C'était passé minuit... Or, à cette heure indue,
Sans de mauvais projets on ne court pas la rue.
lE COMTE, prenant le second placet.
L'autre est au nom d'Otto, le père de l'enfant
Par vos chevaux foulé : depuis cet accident,
Au fils il a fallu couper la jambe droite.
LE DUC.
Depuis cet accident, mon meilleur cheval boite.
LE COAIIE.
Otto veut vingt ducats. . .
LE DUC.
C'est juste. Il est en droit :
Mon cheval en vaut cent... c'est quatre-vingts qu'il
[ doit...
Il ne reste plus rien?. . . point de complot, de crime,
Point de délation par la voie anonyme?
LE COMTE, prenant au fon d'une boîte, apportée
par l'huissier du conseil au commencement de la
scène, le parchemin que Scoroucoulo a dépose
aux Huit.
Une seule...
LAURENT, à part.
O mon cœur, contiens-toi!
LE COMTE, le faisant passer au Duc.
La voilà.
LE DUC, soupesant le paquet comme un homme qui
craint qiielque embûche.
Diantre! elle est grave au poids...
Il le passe par précaution à Laurent.
Tiens, Laurent, lis-nous-la.
Se reculant.
Etprcndsgarde,on ne saitsousunpareilvolume...
Laurent rompt rapidement le cachet, et tire le poignard
et récrit.
Un poignard! qui m'écrit avec si forte plume?
LAURENT, qui a l'air de lire le billet, se levant
brusquement.
Juste ciel! qu'ai-je lu? l'infâme trahison!
Au lion de Florence, ici dans la maison
Qui touche à ces remparts...
LE DUC
Eh bien 1 quoi? parle, qu'est-ce î
LAURENT.
On conspire à présent contre vos jours, altesse!
LE DUC.
Il se pourrait, Laurent ?
LAURENT, tenant toujours la dénonciation pré-
; tendue.
'î Oui, Bçlmonte, Pazzi,
Manfredini, messieurs, ces traîtres sont ici !
Et quand au poids de l'or on paie une police,
Par quilesavons-nous...?parStrozzi,leur complice.
LE DUC.
Pierre Strozzi?
LAURENT.
Lui-môme. .. à ce mot de sa main,
^fon nom sur ce fer, qui n'en serait certain?
Il remet le poiRuarcl et le Lillct au Duc.
LAUR£JNT DE MÈDICIS. ^
LE DUC, examinant l'un et l'autre.
C'est juste; c'est bien lui qui rompt cetépaisvoile«,
Avec surprise.
Et qui le pousse à moi?
LAURENT, à mi-voix, à son oreille.
Qui? votre heureuse étoile..»,
Juana vous appartient.
LE DUC.
Tu crois ?
LAURENT.
Dès ce moment.
Mais suivez mon conseil, et montrez-vous clément.
LE DUC.
Nous verrons... Qu'à l'instant tous quatre onlesar-
LAURENT, avec empressement, [rête.
J'y cours.
LE DUC, le retenant.
Non; Vitclii...
"VitelU s'apprête avec sa troupe.
Des fourbes sur ta tête
Songe que tu réponds... En jetant trois aux fers,
Amène devant nous Strozzi, le moins pervers.
Vitelli sort avec les archers.
LAURENT, à part.
O ciel! j'avais compté les arrêter moi-même.
Le prévenir à temps... infernal stratagème!
C'est un autre... que faire?
Comme par inspiration.
Ah ! j'y suis, j'ai trouvé.. <
Qu'il vienne! et s'il se perd, il est encor sauvé.
VW^VV\VV4W.V\VVWVWVl^lVV,\.VVWVVWWlV\\Vl\IV\VVWVWVVlWW
SCENE VI.
LAURENT, LE DUC, LE COMTE OTTAVIO.
MANFIERI, LES QUATRE Conseillers des
Huit.
le DUC, se promenant de long en large sur le «Zc--
vant de la scène, le poignard et l'écrit de Strozzi
à la main.
Toujours des assassins et toujours des vengeances!
Quand donc seront-ils las de toutes leurs offenses.
Ces fauteurs de discorde? et quand donc à nos yeux
Ne trameront-ils plus leurs complots odieux?
Non contens de prêcher dans l'Italie entière
Une révolte armée; organisant la guerre,
Endoctrinant le pape, et, par ambassadeur.
Traitant comme puissance auprès de l'empereur,
Ils vont encor plus loin... pour la voir assouvie,
A leur rage il ne faut rien moins que notre vie!
Misérables! c'est bien, aiguisez le couteau;
Moi, je vais préparer la hache du bourreau.
Qu'elle tombe, et d'un coup tranche la triple tête
De l'hydre renaissante à nous dévorer prête.
II vous faut un exemple? eh bien, soit! vous l'aurez.
Mais terrible, effrayant, car pour tous vous paîrcz.
LAURENT, à part.
Avant, nous réglerons notre compte, mon maUr«i
10
MAGASIN THEATRAL.
•WWWVWVI*VVVWiVViVtWViW*W\VVXlM/VWWVVV*WWV%W*VW VVVWVVWVVVl/%VVVVWVVVVVVV*M*V*V*VV*VMiVV%*V«(VWVM,VVVVWVV»
SCENE VII.
LAURENT, LE DUC, LE COMTE, tKS quatre
Conseillers, VITELLI, PIERRE STROZZI,
aumilieude quatre archers qui Vamènent.
tE DUC, à part.
Voici Strozzil que faire à l'égard de ce traître?
Pardonner ou sévir?... Ah! soyons généreux!
Un pardon à ce prix, c'est un supplice affreux.
Il s'avance vers Strozzi,qui,1a tête haute et les bras croise's
semble attendre fièrement sa sentence.
Pierre, sans nul détour réponds à qui te juge,
Dis-nous la vérité, point de vain subterfuge.
Qui dans notre chemin te jette en ce moment?
STROZZI, avec une noble assurance.
C'est à la bonne cause un entier dévoûment.
LATJREn:^, à part, avec joie,
BienI
LE DUC
Tu le reconnais?
STROZZI, sur le même ton.
Sans peur je le confesse.
LE DUC, au conseil.
Vous l'entendez, messieurs.
Aux Arcbers.
Libre ici qu'on le laisse.
Les Archers s'écartent, à la grande surprise de Strozzi. Le
Duc s'avance plus près, et lui montre le poignard.
C'est bien là ton poignard?
STROZZI.
C'est le mien.
LBDDC, lui montrant le feuillet de ses tablettes.
Et ces mots
Qui nous ont révélé le plus noir des complots,
Sont bien de toi ?
STROZZI.
De moi.
LE DUC.
Citoyen de Florence,
Nous te félicitons; le service est immense.
STROZZI.
•Que dit-il?
LE DUC, au conseil.
Dans ses biens par décret rétabli,
Qu'à l'instant Slrozzi sorte et d'exil et d'oubli !
Qu'il soit riche, puissant !
STROZZI.
Mais l'on me déshonore !
C'est une trahison.
LE DUC, continuant.
Que personne n'ignore
Ce qu'il a fait pour nous, comment il m'a sauvé ;
les autres au bourreau. Le conseil est levé.
LeDucsortjlaissant Strozzi muet d'ctonncment ctdo sur-
prise ; le conseil le suit, ainsi que VitoUi 9t 99 WTOUpe.
SCENE VIII.
LAURENT, STROZZL
STROZZI, revenant peu-à peu de sa stupeur.
L'ai-je bien entendu? mais où donc est l'infùme...?
Il se retourne et aperçoit Laurent immobile à sa place
et qui semble l'attendre.
Laurent! ah! de fureur j e sens bondir mon ame !
Il s'approche de lui, et le regardant en face.
Tu m'envisages, traître, et, les yeux sur mon front.
Tu joins encor l'insulte à ce public affront!
Mais tu ne sais donc pas qu'ici même, sur l'heure.
Il faut que ton trépas me venge ou que je meureT
LAURENT, froidement.
Je le sais, car tu vois, quand chacun t'a quitté.
Pour te rendre raison, moi seul je suis resté.
STROZZI, mettant la main sur son épée.
En garde donc, en garde! et croisant ton épée...
LAURENT, impassible.
Jamais au sang d'un frère elle ne fut trempée.
STROZZI.
Un frère, misérable! Eh! suis-je encor le tien.
Toi qui m'as pris l'honneur, l'honneur, mon der-
Défends-toi. [nier bien?
LAURENT, voulant s'expliquer.
Pierre, écoute.
STROZZI.
Ah ! oui, voilà ta tâche.
Parler pour vous trahir ! Laurent, tu n'es qu'un
LAURENT. [lâche.
Pierre!
STROZZI.
Unhommesans foi, qui n'as rien dans lecceurl
LAURENT.
Pierre...
STROZZI.
Un poltron enfin qu'on insulte sans peur!
Il lui jette son gant au visage.
LAURENT, éclatant à son tour.
Cette fois, c'en est trop ! de ton aveugle rage,
Vois, sans trembler, Strozzi, je relève le gage.
J'ai su sauver tes jours, tu veux prendre les miens.
Soit! attends à minuit, alors je t'appartiens.
STROZZI.
Quoi! si tard!
LAURENT.
Pas avant.
A part.
Ce temps doit me suffire.
Haut.
Ou oous rcvcrroQs-nousl
STROZZI.
Je te l'eoTerrai dire,
U sort.
LAURENT DE BIÉDICIS.
ai
*V\VV\vvvvvv*^(\(VV\*v\v»^viAvwv,AvvxvvxvviVV\VVVVM1*»VV\*V\VV\VMV^
vv\^■v\w^^v^vw'vv^^v^w\^\^>•\^ »>>»%■>>)•}>■»■) n>vvvv» VI VMVw
ACTE DEUXIEME.
Une galcri dans le palaîs du Duc. A droite de l'acteur, une porte fermée par une simple tapisserie, qui conduU aux
appartemens de la duchesse. A gauche, un Lalcon donnant sur une place de Florence.
SCÈNE PREMIERE.
LORENZO, SALVIATI, ANDRÉA CORSINI,
PITTI, LE CARDINAL CIBO, JULIEN
BUONAMICI DE PRATO , LE COMTE
OTTAVIO MANFIÉRI, Codrtisans.
Au lever du rideau ,1a scène est occupée dans le fond par dif-
férens groupes de Courtisans qui se promènent, causant
entre eux, et attendent pour aller faire leur cour qu'on
ouvre la porte des appartemens de la Duchesse. Parmi
eux se remarquent au premier rang Lorenzo Salviati, An-
dréa Corsini, jeunes seigneurs des premibics familles
de Florence, Pitti, chef de la banque, le cardinal Ciho,
et Julien Buonamici de Prato, religieux de l'ordre des
Carmes, qui passait alors pour un astrologue fameux ;
survient en dernier le comte Ottavio Manfiéri.
lE COMTE, entre comme un homme préoccupé,
sans saluer personne, et quand il est une fois
tout-à-fail en scène, il se dit à lui-même.
Je l'avais bien pensé... de cette trahison
Il ne pouvait souiller l'honneur de sa maison.
Oui, Strozzi, je te crois; à toi je m'en rapporte;
Ton but était coupable, et l'entreprise avorte.
C'est juste.. .mais au moins sauvons les malheureux
Qu'à tort tu compromis par d'imprudens aveux.
Que ta voix, que la mienne en leur faveur proteste;
Gagnons ainsi du temps... et Dieu fera le reste!
II se retourne et promène ses regards sur la foule de Cour-
tisans qui occupent le fond delà galerie.
Diantre! il paraît qu'on sait la nouvelle du jour!
Quelle foule empressée à faire ici sa cour 1
Haut commerce, clergé, noblesse, rien n'y manque:
Lorenzo, Corsini, Pitti, chef de la banque,
Le cardinal Cibo, jusqu'à ce moine enfin.
Astrologue en renom, dont on fait un devin,
Mais qui vient un peu tard complimenter le maître,
Lui qui doit, par état, tout prévoir et connaître.
Oh ! que vous voilà bien, race vraiment à part,
Courtisans éhonlés! pas un n'est en retard!
C'est à qui , composant son air et son visage,
Saluera le premier le duc à son passage,
Et, le félicitant du péril dont il sort,
Le bénira vivant quand il le voudrait mort.
Sur de pareils appuis faut-il donc que je compte?
A rien mendier d'eux vraiment j'ai quelque honte.
Mais enfin le temps presse... essayons... il le faut.
Dans une heure peul-ôtre on dresse l'échafaud
a t'sppretbs i'wc (a]^l« av «e d^poseAl tt)biitut;Uvmt:at
les pétitions adressées au Duc, et, tournant le dos à la
porte de la galerie et à celle par laquelle on entre chez
la Duchesse, il s'assied et jette un placet sur la tahic;
son geste attire l'attention des Courtisans ; tous le regar-
dent avec étonnement et se rapprochent. Quand il a
pr>s connaissance du placet, il se lève, et s'adressant à
la 1 ouïe qui lui fait face, il dit :
Messieurs, un attentat a menacé Florence,
Attentat inouï, qui tient de la démence...
Comme il achève ces mots, le Duc paraît derrière lui sur
le seuil de la porte d'entrée. Il fait signe de la main aux
Courtisans qui l'aperçoivent de ne point interrompre
le comte Ottavio en trahissant sa présence. Ceux-ci
obéissent, et le Comte continue sans se douter que le
Duc est Ta qui prête l'oreille.
VWVWVVWVVWWVWVV«WWWVVWVWVWVV1,VVVVWW\VWVWVWW»
SCENE II.
Lss Mêmes, LE DUC.
LE COMTE. [lois.
Les auteurs sont trois fous... aux termes de nos
De haute trahison, convaincus tous les trois.
Ils peuvent à l'instant envoyés au supplice.
Etre décapités... le crime est clair... justice!
Cependant, pensons-y; toujours hors du fourreau.
Voir un glaive qui brille en la main du bourreau.
C'est un triste spectacle à l'époque où nous sommes.
La mort a bientôt fait de moissonner des hommes :
Or, combien sans égardspourl'àgeetpour lerang.
Depuis cinq ans passés prodiguons-nous de sang?
Du plus pur, sans pitié, nous épuisons nos veines :
L'échafaud, en nos murs, tientlieu de toutcspeines.
Sur le moindre prétexte, au plus léger soujiçon.
On prend un malheureux, on le traîne en prison;
Et sans l'avoir jugé, sans nulle procédure,
On l'envoie à la mort... Oh! mais si cela dure,
Savez-vous bien, messieurs, ce qu'il en adviendra?
Que le peuple à ce sang un jour s'enivrera.
Et que brisant ses fers, votre unique refuge.
Des bourreaux à son tour il se fera le juge!
Je respecte du duc les suprêmes arrêts...
LE orc, l'interrompant.
Vraiment, comte Ottavio?
Moment de silence général. Le Comte, élonné,so retourne.
1.0 Une alors quitte sa place et vient, les hras croisés, sa
DltlU«eufiCC<]ului,
12
MAGASIN THEATRAL.
Continuez: après...
LE COMTE, avec une fermeté respectueuse.
Je voudrais moins qu'un autre, à ses ordres con-
[ traire,
Par ma démarche ici, l'irriter, lui déplaire;
Mais dût-il m'en punir, je le dis sans effroi.
J'entends user, messieurs, du bienfait de la loi...
Assurément Pazzi, Belmonte son complice.
Traîtres au premier chef, sontdignes du supplice:
Manfredini n'est point moins coupable à mes yeux;
Le texte est là... le duc n'a qu'à dire : Je veux;
Chacun d'eux, sur ce mot, au fer livre sa tête...
Mais qu'ajoute la loi? Que, si formant requête,
Trois nobles, homme ou femme, attaquent cet ar-
II y sera sursis. Duc, dans votre intérêt, [rêt,
Par respect pour vous-même et pour votre mé-
Cmoire,
Il prend la plume et signe.
Je m'oppose.
LE DUC, avec une rage concentrée.
Merci, vous songez à ma gloire!
Vous êtes seul?
LE COMTEo
Non pas, un autre signe aussi.
LE DUC.
Quel est cet insolent?
LE COUTE.
Qui, duc? Pierre Strozzi!
LE DUC.
Ah! voilà quel usage il fait de ma clémence?
LE COMTE.
C'est son droit : noble, il est citoyen de Florence?
LE DUC.
C'est juste... j'oubliais que, pour prix de ses biens.
Il nous avait tantôt vendu le sang des siens!...
Notre marché tiendra; car ce n'est pas tout, comte;
Deux noms à ce placet ne font pas notre compte:
Il en faut un troisième...
Il se retourne vers le groupe de Courtisans, et promenant
sur eux des regards scrutateurs.
Allons, qui signera?
Personne ne bouge; tout-à-coup,au milieu du silence géné-
ral , la portière qui ferme les appartemens de la Du-
clicsse se tire, deux femmes paraissent ; l'une d'elles
s'avance et dit en prenant la plume.
IDANA.
Moi, Juana Ginori, marquise de Leva.
Elle signe d'une main ferme et présente le placet au Duc ;
celui-ci,pâle de colère, l'arraclie plutôt qu'il ne le prend,
et, le froissant de rage, il entre chez la Duchesse en je-
tant un coup d'œil menaçant k Ottavio.
VWV^W\^V^VWWVV\VVV^W\VWV»/VVWWVWWV■».>^v^^>>.%\vvv\^■^VV«.
SCENE III.
Les Mêmes hors LE DUC ; JUANA GINORT,
dame d'Iionneur de la jeune duchesse Margue-
rite d'AiUriche, LUCRECIA, «ne dç ses camû-
ristes.
LE COMTE, félicitant la marquise,
Qu'avez-vous fait, madame?... à ce trait de cou
JUANA. [rage...
De vos nobles discours reconnaissez l'ouvrage.
Comte...
Montrant la portière.
J'entendais tout.
LE COIITE«
Et vous avez osé?...
JUANA.
Après vous et Strozzi, mon rôle était tracé.
Elle se tourne vers les Courtisans et leur dit avec gra-
cieuseté.
Messieurs, je viens bien tard pour combler votro
[attente..
Tous les Courtisans s'inclinent, et déjà quelques uns se
dirigent vers les appartemens du Duc. Alors, sans se
déranger de sa place, Juana ajoute fièrement :
Maison ne reçoit pas : la duchesse est souffrante.
Désappointés, les Courtisans changent de route et se reti-
rent les uns après les autres. Ottavio sort le dernier en
échangeant un salut respectueux avec Juana,
V>AVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV«VVtlVMVVVVVVVVVVVWVVVVVVVVVVVVVV\VVV
SCENE IV.
JUANA, LUCRECIA:
JUANA, vivement à Lucrécia aussitôt que les Cour-
tisons sont sortis,
0 Lucrécia! comment d'un esprit agité '
Te peindre les tourmens, la triste anxiété ?
LUCRÉCIA.
Madame....
JUANA.
Conçoit-on qu'en aussi peu d'espace
Tant de trouble en un cœur se succède ctse passe?
LUCRÉCIA.
Calmez-vous.
JUANA.
Eh! le puis-je, alors que, de concert.
Tout me confond, m'accable 1 Oh! ma tète se perd!
Dans tant de faits divers que croire, que résoudre î
Que penser de Strozzi ? le condamner? l'absoudre?
Le supposer fidèle ou traître à ses amis.
Et partant digne encor d'estime ou de mépris?
Comment est-il ici? que fait-il dans Florence ?
Pourquoi ne m'a-t-il point annoncé sa présence?
Quoil c'est par d'autres voix que j'apprends son
[retour !
Ah ! si tel est le prix qu'il garde à mon amour,
Si ce sont là les soins dont son ingrate flamme
Compte en secret payer tous les vœux de mon ame.
Pourquoi faut-il encor que, trop faible aujour-,
[d'huî,
Au lieu de l'oublier, je m'intéresse à lui?...
LUCRÉCIA.
N'anticipez sur rien, madame : ici peut-être
De 8es actes Strozzi n'a point été le maître.
LAURENT DE MEDICIS.
13
Avant de le juger, voyez, rappelez-vous,
Si libres, en tout temps nous dépendons de nous?
Je sais qu'il court partout une rumeur confuse :
Qu'on loue ici Strozzi, que plus loin on l'accuse...
Qu'on parle vaguement de traîtres, de complots...
Mais sont-ce donc des faits, madame, que ces
[mots,
Et devez vou.s, doutant de l'homme qui vous aime,
Le condamner avant de l'entendre lui-même?
JDANA.
Qu'ingénieuse, hélas! à tromper mon ennui.
Ton amitié me prête un secourable appui ,
Lucrécia! que tu sais, attentive à mes plaintes,
Alléger avec art mes soupçons et mes craintes!
Oh! je te remercie! Éloquente en ce jour,
Par tes tendres conseils rassure mon amour :
Dis-moi qu'il m'aime encor, qu'à ses yeux tou-
[j ours chère,
Je ne me repais point d'une vainc chimère;
Qu'un motif tout-puissant l'enchaîne loin de moi,
Mais qu'il m'a su garder une constante foi..:
Enfin, pour l'excuser, vois, parle, cherche, in-
[vente ;
Et que l'amie au moins console ici l'amante :
Engagée à Strozzi dés mes plus jeunes ans.
Tu sais comment le sort traversa tous nos plans...
Par un décret banni, lui suivit sa famille :'
Et moi, des Capponi, l'héritière et la fille,
Sacrifiée alors par un père inhumain.
Au marquis de Leva, je dus livrer ma main.
Malheureuse union, triste et sombre journée,
Où comme une victime à l'autel entraînée,
Des lèvres, ô mon Dieu ! j'acceptai pour époux
Un vieillard. ..que mon cœur reniait devant vousl...
Bientôt je vis la cour, ambition funeste,
Qui de tous mes malheurs devait causer le reste.
Je parus chez ces grands qu'au fond je détestais.
Monde si différent du monde oii je vivais ,
Et dans le sein duquel, veuve avant une année,
Je restai tout-à-coup perdue, abandonnée,
Seule à me préserver des embûches d'autrui,
D'hommages entourée, et ne songeant qu'à lui!
A lui pauvre exilé ! qui, loin de sa patrie,
Traînait une existence injustement flétrie ;
Qui, doublement puni, puisque de tous les siens
Il partageait l'exil, dépouillé de ses biens,
Sans soutien, sans appui, sans espérance aucune,
Plus grand que son malheur, défiait la fortune,
Et n'avait conservé , dans ces jours d'abandon.
Que l'amour d'une femme, irrévocable don l
LUCRÉCIA.
Et vous supposeriez que d'une ardeur si belle
Celui qui fait l'objet vous piH être infidèle !
Que lorsque après cinq ans d'épreuves, de tour-
[ment.
Le ciel trop long-temps sourd vous ramène un
[amant,
Le perfide vous fuit, à dessein vous élude !
Oh ! non, ne croyez point à tant d'ingratitude :
Cela ne se peut pas, mad.nne, et si Strozzi...
Mais je l'excuse en vain, lui-même le voici.
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\%\V.V\V\V\>.\VW\\V\l\\\\\
Pierre 1
SCENE y.
JUANA, LUCRÉCIA, STROZZI
IDANA, se retournant,
STROZZI.
Juana t
Les deux amans se pre'cipitent l'un vers l'autre. Lucre'cia,
en came'riste discrèle, leur ménage un tétc-à-lt-le cl va
faire le guel à l'c.\.lrcmilc de la galerie.
JUANA.
C'est toi que je vois, que je touche...»
Enfin!
STROZZI.
Par quel bonheur?
JUANA.
Oh! n'ouvre pas la bouche !
Avant que de t'entendre, avant que de parler,
Ohl laisse mon regard ainsi te contempler !
STROZZI.
Juana !
JUANA.
Qu'ils furent longs les jours de ton absence!
Avec reproche.
Et que tu me viens tard, toi d'hier dans Florencel
STROZZI.
D'hier! quoi vous saviez...?
JUANA.
Oui, par d'autres que toi...
Par d'étranges discours arrivés jusqu'à moi.
Mais je n'en ai point cru la honteuse nouvelle;
Je connais trop toname... elle est grande, elle
[est belle;
En vain tous l'affirmaient... Pierre, si j'ai douté;
Ah! c'est de ton amour, non de ta loyauté,..
STROZZI.
Qui repondait de l'une à tort doutait de l'autre :
Mon cœur n'est point changé. ..
JUANA.
Vrai?
STROZZI.
J'en appelle au vôtre.
Je vous aime, Juana, non plus comme au moment
Où, jeune fille encor, vous eûtes mon serment;
Où par ma noble mère, a ce serment présente,
Je jurai de n'avoir jamais une autre amante ;
Non plus comme une femme à qui devant le cie
On se croit engagé par un vœu solennel...
Vous êtes à mes yeux un culte, une croyance.
Mon espoir et ma foi... toute ma providence !
Quelque chose de saint, de pur et de sacre.
Qu'on invoque à genoux comme un être adoré.
Qu'on entoure d'égards, de respects, de tendresse!
Car dans les jours mauvais, vous seule à ma dé-
[tressc,
Quand tous m'abandonnaient, vous avez compatij,
El, fidèle au malheur, m; m'avez poiuttrnbi!
14
MAGASIN THEATRAL.
JUANA.
Mon Dieu ! vous l'entendez 1 oh ! je vous remercie !
Souffrez qu'à mon bonheur mon cœur vous associe.
Si, murmurant parfois, j'accusai vos rigueurs,
Soyez béni du moins quand vous séchez mes pleurs!
Pierre, écoute : je crois à cette ardeur sincère
Que tu me peins si bien et dont mon ame est fière I
Je ne m'explique pointcomment tes trois amis,
Lorsque ici tu viens libre, à la mort sont promis.
Je devine encor moins par quelle circonstance
D'un ennemi tu sus conquérir la clémence...
Mais, quelque obscur que soit ce bizarre décret,
Sans crainte à ton honneur j'en laisse le secret.
Certaine que je suis, sûre, avant toute chose.
Que rien à mon estime envers toi ne s'oppose.
De ta franchise, ami, je n'attends, je ne veux
Qu'un mot... mais dis-le-moi?
STROZZI.
Si je puis.
jrCANA.
Tu le peux.
Combien de temps crois-tu séjourner à Florence?
STROZZI.
Au plus un jour... demain j'en partirai, je pense.
JDANA.
Demain? Eh bien! Strozzi, si tu m'aimes vraiment,
Le moment est venu de le prouver.. #
STROZZI.
Comment?
JUANA.
Emmène-moi d'ici...
STROZZI.
Vous, Juana?
JUANA.
Le temps presse...
Sans retard, de ces lieux arrache ta maîtresse;
Qu'elle fuie avec toi... ne la refuse pas...
Partout, au bout du monde elle suivra tes pas,
Sans l'adresser jamais une plainte importune,
rièrede partager ton sort et ta fortune...
De supporter tes maux, d'en prendre la moitié;
Si ce n'est par amour, oh! fais-le par pitié!...
STROZZI.
Que dites-vous, Juana ?
JDANA.
Qu'ici je suis perdue,
Si tu t'en vas sans moi; que ton départ me tue;
Qu'il me faut à l'instant déserter ce séjour-
Leduc... m'aime I
STROZZI.
Le duc ! oh! trop infâme court
Repaire de débauche, où de la perfidie
La trame à mon égard fut doublement ourdie!
Ce n'était point assez d'un ami déloyal.
Il m'y fallait encor rencontrer un rival!
11 vous aime... le duc! qui vous l'a dit?
JUANA.
Lui-même.
STROZZI.
Oh! vous avez raison, le péril est extrême.
Il faut partir, Juana... dire à Florence adieu!
Car cet homme du crime, hélas! s'est fait un jeu.
Il ne respecte rien, ni vertu ni justice...
Malheur à la beauté qui fixa son caprice.
Et qui , par lui vouée à servir ses plaisirs.
Alluma dans son cœur d'impudiques désirs I
La mère en vain protège une fille chérie ;
Au souffle impur du monstre elle est bientôt flétrie,
A moins qu'avant sa honte un noble désespoir
Ne vienne en l'éclairant lui dicter son devoir.
Lucrèce, ô d'un tel nom courage héréditaire t
Lucrèce de Mazzan à sa flamme adultère
N'échappa, pauvre enfant! qu'en se perçant le sein,
Qu'en préférant la mort à cet autre Tarquin!
Louise... des Nelli la plus belle et l'aînée,
Finit par le poison sa triste destinée.
Et je balancerais quand c'est à votre tour
De lutter, faible femme, avec un tel amour 1...
Non, Juana. Par le Dieu qui tous deux nous écoute.
Vers mon père, avec moi, sous peu vous ferez route.
3VAWA.
Oh! merci!
STROZZI.
Loin des cours, ce théâtre maudit,
Vous viendrez habiter l'asile d'un proscrit.
Mais avant,jusqu'aubout de votrehonncur jalouse.
Souffrez qu'en vous prenant ce proscrit vous épouse. -
Le monde est envieux... plein deproposméchans...
Commençons par fermer la bouche auxmédisans:
Qu'une union sans pompe...
JUANA, l'itilerrompant, '
On dirait que ton ame
Lit au fond de mon cœur.
Elle lui tend la roaic.
Strozzi, voici ta femme!
A toi j'étais déjà... que nos liens, bénis.
Soient approuvés du ciel. Quandserons-nousunis?
STROZZI.
Quand?
* A part.
0 fatal combat que je ne puis remettre I
Haut.
Un mot d'écrit...
LUCRÉciA, rentrantprêcipitamment.
Quelqu'un !
A ce signalj les deux amans se cVisposenl à se séparer, et
Juana va pour rentrer chei la Duchesse.
STROZZI, reconduisant sa maîtresse.
Un rendez-vous par lettre
Saura vous indiquer et le temps et le lieu
De cet hymen secret..-.
JUANA, avec prière.
Oh! bientôt!
STROZZI, lui baisant la main.
Avant peu.
LucTccia et Juana rentrent cbci la DuclicMe.
LAURENT DE JMÉDICIS.
15
VV\VViVV\VV\WA.VVVVV*VVilVVVWV\VVVttV\/\V\VV\VWV -vvvx^w/wvx
SCENE VI.
STROZZI, seul m instant; SCOROUCOULO.
STROZZI.
Avant peu, lui disais-jel
D'inspiration,
Oh! oui, car mon offense,
Juana, son tendre amour, tout aide à ma vengeance.
Qu'il vienne, l'imprudent que ce bras doit punir !
Lorsqu'on est tant aimé, l'on ne peut pas mourir.
•Comme il achève, entre Scoroucoulo, qui se dirige vers ia
portière qui conJuit aux appartemens de la ducbessc;
Strozzi se retourne; à son aspect Scoroucoulo s'arrête.
SCOROUCOULO, lamainsur son poignard»
Strozzi !
Il va pour continuer sa route.
STROZZI, allant à lui.
Mon brave, un mot.
Ils avancent tous deux en scène.
Quel est ici ton maitre?
SCOROUCOULO.
Personne, et tout le monde.
STROZZI.
Ah!.,, tu te vends?
SCOROUCOULO.
Peut-être ?
STROZZI, tirant sa bourse.
Eh bien! tiens, prends ceci...
SCOROUCOULO.
Je ne prends rien de toi, ..
Ton argent n'a pas cou"...
STROZZI.
Tu plaisantes ; pourquoi?
SCOROUCOULO.
Parce qu'au poids de l'or paîrais-tu mes services,
Je ne t'en rendrais pas : chacun a ses caprices.
Il va pour s'éloigner.
STROZZI.
Tu t'en vas ?
SCOROUCOULO, montrant la porte des appartemens.
On m'attend.
STROZZI.
Encore un mot, l'ami :
Qui donc es-tu ?
SCOROUCOULO,
Je suis ton mortel ennemi!
STROZZI.
A la bonne heure au moins. . . Ton humeur est fan-
[tasque;
Mais ici, dans ces lieux, où chacun porte un masque,
Où chaque bouche s'ouvre à quelque trahison.
Tu fais par la francliise honneur à la maison !
f'ï e motif de ta haine à mon égard, mon brave,
uei cst-ii ?
SCOROUCOULO.
Que t'importe?
STBOZZI.
Est-il juste, ost-il -rravc?
SCOROUCOULO.
Assez grave, entre nous, pour que, bravant ton
[rang.
Je t'eusse offert, sans lui, d'échanger notre sang!
STROZZI,
Ah ! mon rang te fit peur? Sache qu'émancipée
Des Strozzi la noblesse est au bout d'une épée.
SCOROUCOULO, ironiquement.
Oui, quand à son secours, la main sur le pom-
[meau,
Elle n'appelle pas les valets du bourreau.
STROZZI.
Parla, que veux-tu dire, et quelle est cette injure?
SCOROUCOULO.
Tu ne me remets pas?
STROZZI.
Nullement, je te jure.
SCOROUCOULO.
Je suis Scoroucoulo.
STROZZI.
C'est un fort joli nom ;
Mais pas plus que tes traits.
SCOROUCOULO.
Il ne te revient?
STROZZI.
Non.
Attends donc cependant... à Naples un chef de
[bandes...
SCOROUCOULO.
EnQnt
STROZZI.
Un vieux coquin, vivant de contrebandes,
Ne quittant le tripot que pour le grand chemin.
D'un des miens.., de Sténo.,, jadis fut l'assassin.
SCOROUCOULO, se posant.
Dis l'adversaire heureux, et tu reconnais l'homme.
STROZZI.
Comment! tu vis encor ?
SCOROUCOULO.
Oh! de mon dernier somme
Déjà depuis long-temps je dormirais, je croi.
Si l'on n'eût là-dessus pris conseil que de toi?
Pour un duel en règle oser me faire pendre!
Ah I par ton sang 1
STROZZI.
Tiens-tu tant à ic voir répandre?
SCOROUCOULO,
Sur ma part aux enfers, c'est mon plus vif désir.
STROZZI.
Eh bien ! je puis, l'ami, te donner ce plaisir.
SCOROUCOULO,
Vraiment?
STROZZI.
Ecoute : ici j'ai moi-môme une affaire.
Le n'est point, il s'en faut, un combat ordinaire,
Une rencontre à froid, où chaque champion.
Sur une égralignure. arrête l'action :
C'est une question jusqu'à la fin suivie,
Dans laquelle il s'agit ou de mort ou de vie,
Un duel où l'on vient la haine dans le cœur.
Et duquel on ne sort qu'expirant ou vainqueur.
MAGASIN THEATRAL.
16
Toi, qui hantes la cour, tu n'es pas sans connaître
Laurent de Médicisî
SCOBOTICODLO.
Mais on s'en flatte.
SXROZZI.
Au traître,
Sans plus tarder, remets de ma part cet écrit.
SCOROUCODtO.
Ah! bahl c'est donc Laurent?
STROZZI.
C'est de lui qu'il s'agit.
SCOBOIICOtILO.
Vous vous battez ensemble?
STROZZI.
Ensemble, et je t'invite
A nous venir aider, pour que chacun soit quitte.
Seul ici démon bord, d'un second j'ai besoin...
Je te prendrai.
SCOROTÎCOULO.
Qui, moi? te servir de témoin?
STROZZI.
Pourquoi non? De nous deux il faut que l'un^uc-
Si ie meurs, sois vengé !... Si c'est Laurent qui
* [tombe,
Je t'eng'age ma foi, qu'en dépit du blason
Reprenant le combat, je te rendrai raison!
Cela te convient-il?
SCOROCCOCLO.
Avec orgueil j'accepte.
STROZZI , lui donnant le billet.
Ce mot sera remis?
SCOROTJCOULO.
Sans qu'aucun l'intercepte.
Slrozzi sort.
w^vx^«^^v^^w^v^^w^v^v^x^^^^^^^^^^^v^vw^vxx^^^w.v«WV
SCENE YII.
SCOROUCOULO, seul; puis LAURENT.
SCOROUCOCLO.
Ou je me trompe, ou bien l'homme qui sort d'ici
Est un homme de cœur... De me parler ainsi,
Bien t'en a pris, mon maître : en te voyant
La maiu suv son pulynar,!, -lu'Ll a li.-.i à ilcmi.
Ma haine
Saisit d'abord ce fer... qu'il rentre dans sa gaine.
Grâce à loi, sans un tiers, jadis, j'étais pendu!
Tantôt tu m'as volé le prix qui m'était dû,
En te livrant au duc avant moi... double dette!
Mais, li.ilil ce dernier trait a demi la rachète :
Quel qnc soil envers toi tout mon ressentiment.
Tu viens à mon sujet d'agir si noblement.
Que j'aurais vraiment tort, pour régler notre
[ compte,
D'user de trahison... ce serait trop de honte !
Lorsqu'on procède ainsi, l'on ne peut, sans égard,
A qui prend une épée opposer un poignard!
LAURENT, sortant des appartemens du duc.
Eh ! mais que fais-tu donc î je suis las de t'at-
[ tendre.
SCOROCCOTJLO.
Je recevais pour vous une visite à rendre.
Ne vous rencontrant pas, le visiteur, pressé.
M'a chargé de ce mot qu'il a pour vous laissé.
Il donae à Laurent le billet de Slrozzi.
LAURENT, Couvrant rapidement.
C'est de Strozzi?
SCOROUCOCLO.
De lui.
LAURENT.
Voyons ce que sa lettre
Peut nous dire.
SCOROUCOULO, s' approchant avec curiosité.
Voyons.
LAURENT, l'écartant.
Si tu voulais permettre;
Tu vas plus loin, mon cher, qu'il ne t'est accordé.
Il lit:
« Ce soir, minuit sonnant...
Avec une surprbe croissante.
Dans la rue Alcordé,
» Maison delaZecca, je vous attends sans faute. »
Interrompant sa lecture.
Maison de la Zecca! Se peut-il? Quoi! cet hôte
Par qui fut avant nous loué pour aujourd'hui
Le pavillon au nôtre attenant! c'est donc lui !
Le singulier hasard ! la bizarre aventure I
Il reprend sa lecture.
« Venez; bien avant vous j'y serai, je le jure.
» Pardon du rendez-vous! je l'eusse mieux choisi,
«Mais le temps m'a manqué, je pars demain.
[SxRozzi. »
O d'un cœur vraiment brave admirable noblessel
Point de mots, nulle injure! un autre à sa maîtresse
Donnerait cette nuit un rendez-vous secret.
Que sa phrase aussi simple ainsi se traduirait.
Comme frappe d'une inspiration subite.
Mais j'y songe; en ce sens si je faisais usage
De ce cartel, peut-être...
Il le parcoort une seconde fois.
Oh! oui, jamais message
Ne vint plus à propos seconder mes projets...
Point d'adresse, de nom ! je réponds du succès.
Scoroucoulo, dis-moi !
Scoroucoulo ne bouge pas.
Quoi! tu boudes! approche.
Et ne fais point le Cer pour un léger reproche.
Qui connaît comme moi ton zèle officieux,
Pouvait te pardonner d'être un peu curieux.
Mais tu sais, je suis brusque, excuse ma rudesse.
As-tu revu tantôt notre estimable hôtesse?
SCOROUCOCLO.
LaZeccaîjerai vue.
LAURENT.
Elle consent toujours
A prêter un asile à mes folles amours?
LAURENT DE MEDICIS;
17
SCOROUCOULO, tifant un paquet de clefs.
Voici les clefs du lieu.
LAURENT.
C'est bien ; tu vas sur l'heure
Aller, ma bourse en main, mettre ordre à la de-
SCOROUCODLO, recevant la bourse, [meure.
Âh! je suis de la fête!
LAURENT.
On te fait cet honneur.
En route tu prendras deux des tiens, gens de cœur.
SCOROUCODLO.
Bramante et Pandolfo ?
LAURENT.
Pandolfo, soit, Bramante,
Va pourceux-là... du nom fort peu jeme tourmente,
Mais je veux des gens sûrs, actifs, intelligens,
Dont tu puisses répondre, entends-tu bien?
SCORODCOULO.
J'entends.
LAURENT.
Puis vous munissant tous de quelque bonne épéc,
Quittant bien le fourreau, solidement trempée,
Vous vous attablerez sans faire de façons
Tête-à-tête tous trois près de quelques flacons,
Chacun buvant, mangeant, blasphémant ciel et
[terre,
Mais gardant sa raison tout en vidant son verre.
SCOROUCOULO.
Cela n'est pas toujours ais,é.
LAURENT.
Facile ou non.
Du sang-froid avant tout, car il m'en faut, sinon ,
A défaut de tes gens, on en choisira d'autres.
SCOROUCOULO, gravement.
Maître, permettez-moi: mes jours, ce sont les
[vôtres;
Je vous l'ai dit cent fois, je le répète encor,
Je feraispour vous seul toutce qu'au poidsde l'or
Un autre vainement me supplîrait de faire.
Et pourtant vous savez si j'ai le nécessaire!
Je suis pour vous l'esclave et fidèleel soumis
Que ne vaudra jamais le meilleur des amis;
Je vais où vous voulez ; si votre cœur désire,
Avant qu'il ait parlé, dans vos yeux j'ai su lire. . .
Pas à pas je vous suis, toujours, partout, si bien,
Que j'ai moins l'air souvent d'un homme que d'un
[chien.
Flattant ceux que mon maître avec plaisir aborde,
Et leur montrantles dents s'il veut que je les morde.
LAURENT.
Eb bien, après?
SCOROtJCOUlO.
Eh bien, malgré l'attachement
D'un zèle aveugle prêt à tout événement;
Malgré ce dévoûment que la reconnaissance
A gravé dans mon cœur et que rien n'y balance,
Qui soumet à vos lois ma pensée et mon bras,
L'une pour obéir et l'autre agir, au cas
Qu'un importun survienne, obstruant votre route;
Je dois vous prévenir, pour vous tirer de doute.
Qu'il est un homme ici contre lequel en vain
Pour un assassinat vous armeriez ma main.
Hésitant.
Cet bomipç.^.
LAURENT, à part,
Est-ce le duc?
SCOROUCOULO.
De moi vous allez rire;
Le scrupule est plaisant... c'est... Strozzi.
LAURENT, à part.
Je respire!
Haut.
Quoi! ce même ennemi que ton ressentiment
Ce matin...
SCOROUCOULO.
Oh! toujours je le hais ! seulement,
Comme il a fait un trait qui lui vaut mon estime,^
Je neveux pas qu'il soit d'un guet-apens victimOr
Vous vous battez tous deux ?
LAURENT.
C'est vrai, qui te l'a dit?
SCOROUCOULO.
Quelqu'un bien informé... celui qui vous écrit...
LAURENT.
Strozzi t'a confié î
SCOROUCOULO.
Mieux que cela, mon miîtrc.
Il m'a pris pour témoin, et quand j'allais peut-être
Invoquer contre lui quelque autre trahison,
II m'a lui-même offert de me rendre raison,
M'élevant jusqu'à lui, sans hésiter, tout comme
Si j'étais, moi, bandit, un noble gentilhomme!
LAURENT.
Vraiment?
SCOROUCOULO.
J'ai sa parole... il a la mienne aussi...
Vous mort, j e vous remplace. . . Or, je vous jure ici
Que, dût-il de nous deux faisant une hécatombe,
Nous coucher côte à côte en une même tombe.
Je ne souffrirai pas qu'on lui manque de foi
Avant qu'envers vous libre, il s'acquitte avec moi.
LAURENT.
Le serment est très-beau ; mais il est inutile.
Jaloux de ton honneur, sur le mien sois tranquille.
Va, fais ce que j'ai dit... de Strozzi je réponds...
Tu seras son témoin... tes amis mes seconds...
Je le veux bien ainsi... la fin de cette affaire.
Prouvera si je suis un loyal adversaire.
Tum'asentendu, pars... je vous joindraibientôt.
Et de l'énigme alors tu comprendras le mot.
SCOROUCOULO.
Il suffit...
Il va pour sortir, Tout-à-coup Laurent le rappelle.
Fausse sortie.
LAURENT.
Ahl dis moi, j'oubliais une chose.
A part.
Et pourtant elle importe
Haut.
Encore à notre cause.
Contre un rude jouteur, dans ses duels heureux,
Un hasard imprévu nous fait battre tous deux.
Je commence... après moi, tu prends et tu me
[venges...
Mais admettons. . . l'on voit de ces chances étranges,
Quedcux fois coup sur coup, favorisé du sort,
18
MAGASIN THEATRAL.
Notre ennemi vainqueur t'étendc à ses pieds moTt,
Qui donc nous vengera?
SCOROUCOCLO.
Tiens, mais, au fait, j'y pense.
LAURENT.
Tu n'en sais rien ?
SCOROCCOULO.
Ni vous?
LAURENT.
Moi, je le sais d'avance...
Prends ce papier... du duc, tu vois, c'estunblanc-
[ seing.
Tu vas, sortant d'ici, le remplir de ta main,
M'en faire un ordre exprès , bien et dûment en
[ forme.
De relâcher ces gens contre qui l'on informe,
Manfredini, Pazzi, Belmonte... ces amis
Qu'avant toi ce matin leur complice a trahis...
Et tu le porteras... en passant, c'est ta route,
A la prison d'état, le guichet sous la voûte.
Conçois -tu?
SCOROUCOULO.
Je conçois...
LAURENT.
Plus l'ordre pressera,
Plus vite au nom du duc on les élargira...
SCOROUCOULO.
Fort bien ! mais à quoi bon? tous trois libres, en-
LAURENT. [suite?
Quoi ! tu ne comprends pas à quoi nous sert leur
[fuite?
Mais à nous assurer autant de successeurs :
A laisser après nous d'implacables vengeurs,
Qui, si nous succombons aujourd'hui dans la lice,
D'un traître dans Strozzi feront bientôt justice.
Cela devient-il clair ?
SCOROUCOULO.
D'honneur, c'est merveilleux I...
LAURENT.
Ta donc, et sache agir quand je l'ai dit je veux.
'V\AA'WV\\'WW\V\VWWtVVVWt\VVA'VWVIAVVWV»VW\V^VWVW\aW\
SCENE VIII.
LAURENT, seul.
Ils sont sauvés!... et nous, nous approchons du
[terme!...
Attention, Laurent, en ta marche sois ferme ;
Sur ce terrain glissant ne fais point un écart!
Et toi, puissant moteur, qu'on nomme le hasard.
Intarissable source en incidens féconde,
Abîme où l'on se perd du moment qu'on le sonde.
Et qui n'es qu'une fin des éternels décrets,
Continue à servir jusqu'au bout mes projets.
Déjà tout de concert, grûce à toi, me protège :
Dans ce mot de Strozzi tu m'as fourni le piège;
Achève, t't pour y prendre un coupable tyran,
Fais de Juana l'appât qui complète mon plan...
Qu'elle soit en mes mains l'irrésistible amorce,
Qui m'amène impuissant ce tigre dans sa force.
II va pour rentrer cliot la Duchesse; comme il est sur le
point (le frsDcliir la porte, il aperçoit Juana qui se di-
rige de (on c6te.
Justement la voici. Tâchons, sans nous montrer.
De pénétrer un cœur que l'amour doit livrer.
Il se cache et écoute.
W\VW\'V\VW\V\W\'W\'Cv'»\-\AVV\W\VV\VV\'V>AVVVW\AVV\\V\Vt\W\
SCENE IX.
LAURENT, JUANA.
Elle entre pensive, et va sans voir Laurent, qui s'est mis
à l'écart , s'appuyer sur la balustrade du balcon , à
droite, donnant du palais sur la place.
JUANA.
Avantpeu, ra'a-t-il dit.. .Oh! que triste est l'attente!
Qu'au sein de cette cour où je figure absente,
Sous les yeux de cet homme à ma perte acharné.
L'heure, loin de Strozzi, lentement a sonné!
Regardant sur la place.
Et rien... aucun message... Il ne me fait point dire
Si demain... si ce soir... C'est donc bien long
[ d'écrire?
LAURENT , qui s'est approché d'elle.
Beaucoup moins que d'attendre, en proie à tant
C d'ennui,
N'est-il pas vrai, madame, une lettre de lui?...
Il lui tend le billet.
JUANA, avec surprise.
Seigneur!
LAURENT.
Ne craignez rien, Strozzi vers vous m'envoie
Lisez vite, lisez... et gardez qu'on vous voie.
JUANA, à part, prenant la lettre avec méfiance.
Se peut-il! Quoi! Strozzi...
EUo l'ouvre.
Mais oui, c'est bien sa main.
Après avols lu.
0 ciel! ce soir... minuit. Et son départ demain I
Réfléchissant.
Minuit rueAlcordé... seule à cette heure indue,
Oserai-je...? Oh! j'irai! malgré l'heure et la rue...
Car vous savez , mon Dieu ! pourquoi ce rendez-
[vous,
Et c'est à vous d'unir la fiancée à l'époux !
A Laurent,
Seigneur Laurent, pardon... je ne suis qu'une
( femme ,
J'aime, et l'amour souvent rend crédule...
LAURENT.
Madame...
JUANA.
Mais je sais qu'autrefois une noble amitié
Dès l'enfance aux Strozzi vous a, dit-on, lié :
Et, bien que votre rang prés d'une autre personne
Justifie assez mal un accord qui m'étonne...
D'un mot quej'espérais vous présentant porteur,
Je ne puis d'un soupçon entacher votre honneur.
Reverrez -vous Strozzi?
XAURENT.
Madame, à son message
LAURENT
Il voudrait pour garant une réponse, un gage,
Et j'ai dû, malgré moi, tant les amans sont fousl
Lui promettre en retour un mot d'écrit de vous...
Ai-je eu tort?
JUANA, hésitant.
Mais...
LAURENT.
Voyons, que vous coûte une ligne ?
Acceptez, dites oui... Signez si Pierre signe.
Seulement, par prudence, en l'invoquant tout bas,
Iipitez sa réserve et ne le nommez pas...
JUANA.
Vous l'exigez?...
LACREM.
Songez que c'est à lui d'attendre I
Aces mots Juana ne balance plus, elle s'approche de la
taLle, prend le papier et la plume que lui présente Lau-
rent et écrit rapidement en dictant tout haut les lignes
suivantes :
JCANA, écrivant.
« Pour vous, rue Alcordé je consens àmerendre.
» A ce soir donc, minuit... maison de la Zecca.
» Scyez-y le premier... je vous joindrai. Jcana.»
LAURENT, à part.
Très-bien.
JUANA, pliant le billet et le lui donnant.
Voici, seigneur... Aussi, moi, je suis folle I
Mais vous avez promis... il faut tenir parole...
Remettez au plus tôt ce billet qu'on attend,
Et croyez que jamais un service si grand...
LAURENT, l'interrompant et lui montrant le Duc
qui paraît.
Le duc !
A part.
n était temps !
JUANA.
Ohî devant lui, silence!
LAURENT.
Éloignez-vous sans crainte...
Juana sort; en passant devant le Duc, elle s'incline ; ce-
lui-ci lui rend son salut, et, les yeux, fixe's sur elle, la
suit jusqu'au bout de la galerie. Pendant ce temps,
Laurent, agitant le billet de Juana,s'e'crie en menaçant
le Duc :
Et toi, ma proie, avance !
Et viens tète baissée, ici, mordre à ton tour.
Comme il achève, le Duc se retourne, et se dirige rapide-
ment vers lui.
*\\W\\'V\'VWWVVV\\'V\VVWV\*VVVIAWV\WW\W\\VVVWV\V\\\AW\
SCENE X.
LAURENT, LE DUC.
LE DUC.
Tu parlais à Juana, Laurent... de mon amour?
LAURENT.
Et quel autre entretien pouvais-je avoir, altesse?
LE DUC.
Eh bien! que répondait l'aimable enchanteresse ?
DE MÉUICIS. 19
I Toujours se retranchant derrière sa vertu,
j Toujours mêmes dédains !...
i LAURENT.
Non pas, duc...
LE DUC.
Que dis-tu?
LAURENT.
Je dis qu'à porter fruit mon système commence.
Que bien nous en a pris d'essayer la clémence...
LE DUC.
Tu crois?
LAURENT.
J'en suis certain...
LE DUC.
Mais, bravant mon courroux,
Pourquoi' tantôt alors, à mes regards jaloux,
Signer, après Strozzi , cet acte téméraire?
LAURENT.
Pourquoi? Coquetterie afin de mieux VOUS plaire...
Manège féminin, simple désir de voir
Jusqu'où de la beauté peut aller le pouvoir...
LE DUC, avec un soupir.
Il va souvent plus loin qu'on ne le veut soi-même!
LAURENT.
De posséder Juana, votre envie est extrême?
LE DUC.
Extrême... tu comprends... l'amour-propre pi-
[ que...
LAURENT.
Soyez heureux !
LE DUC.
Comment?
LAURENT.
Cette nuit, seul, masqué,
On consentpar mes soins à vous voir. ..
LE DUC.
Où? chez elle?
LAURENT.
Non; dans un lieu plus sûr que j'ai dit à la belle.
Mais il faut du mystère... et c'est l'amant discret
Qu'on reçoit, non le duc...
LE DUC.
Eh bien ! l'amantest prêt...
Parle ; que veut Juana ?
LAURENT.
Que votre altesse aborde
Sans suite par l'Arno... qu'une échelle de corde
Là, dans l'ombre, et sans bruit, vous guide à ses
[genoux...
LE DUC.
Quoi! Laurent, à ce prix...?
LAURENT.
Lisez, elle est à vous !
Il remet au duc le billet dcril par Juana pour Strozti<
Pendant que celui-ci le parcourt, la toile tombe.
20
MAGASIN THEATRAL.
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ACTE TROISIEME.
La maison cle la Zecca. Intérieur de maison du peuple. Quelques vieux meubles délabrés; au fond, une fenêtre donnant
sur l'Arno. A droite de l'acteur, deux portes: l'une avec un couloir obscur par lecpiel on monte à l'étage supe'ricur;
l'autre ouvrant sur une autre petite pièce sans issue, prise dans l'e'paisseur du mur. A gauche, la sortie principale
qui mène au rez-de-cliausse'e par un escalier tournant, et par laquelle on est censé' communiquer en ouvrant en bas
un passage secret au pavillon mentionné dans le premier acte et retenu par Strozzi.
SCENE PREMIERE.
PANDOLFO, BRAMANTE.
Au lever du rideau, il fait uuit. La pièce est faiblement
éclairée par deux lampes. Sur une mauvaise table en
bois sont étalés tous les accessoires d'une orgie. Pan-
dolfo et Bramante assis vis-à-vis l'un de l'autre , le
verre et les dés à la main, partagent leur soirée entre le
jeu et de copieuses libations.
BRAMANTE, qui vient de jouer, ramassant les dés
avec humeur.
Que l'ame de ton père aux enfers soit en peine !
C'est un guignon constant...
PANDOLFO.
Ah ! tu n'es pas en veine.
BRAMANTE.
Cela fait?
PANDOLFO.
Cinq ducats, ni plus ni moins...
BRAMANTE.
D'un coup
Veux-tu me les jouer? Dix ou rien t
PANDOLFO.
C'est beaucoup.
BRAMANTE.
Bah! Tiens donc...
PANDOLFO.
Non; c'est trop; quand le sort est rebelle,
A quoi bon s'entêter î... mon argent?
BltAMANTE.
Ohl la belle?
PANDOLFO.
Tu le veux ?
BRAMANTE.
MaJsjeperds...
PANDOLFO.
Toujours au plus haut point?
BRAMANTE.
Toujours...
I>.\NDOLFO.
Tes <lix durais?
BRAMANTE.
Sont la dans mon pourpoint...
PANDOLFO.
JclaîR.. mais si je gagne...
BRAMANTE. «.
Eh bien ?
PANDOLFO.
ÎV)inl de revaî'flic.
BUAMANTE.
Ç.T va.
PANDOLFO, jetant ses dés.
Neuf!
BRAMANTE, jetant les siens à son tour.
Neuf aussi!
PANDOLFO.
Nous sommes manche à manche.
A refaire.
Il jette ses dés une seconde fois.
BRAMANTE, avec dépit à la vue du point qu'il a
amené.
Encor dix? le bonheur insolent!
Sans cesse dix ou neuf!
A part.
Il y met du talent...
PANDOLFO.
Que dis-tu?
BRAMANTE.
Mais je dis, en thèse générale,
Que la partie au jeu comme ailleurs n'est égale
Qu'autant qu'on tient en mains mêmes armes tous
[deux.
Mes dés ne valent rien. . . les tiens sont plus chan -
[ceux.
Changeons un coup.
PANDOLFO, la main sur les dés.
Du tout...
BRAMANTE.
Ton refus est étrange...
PANDOLFO.
A quoi bon ?
BRAMANTE.
Tu fais bien... tu perdrais trop au change.
PANDOLFO.
Que veut dire ceci ?
BRAMANTE.
Qu'à ton nom correspond
Un autre nom, mon cher...
PANDOLFO.
Hein?
BRAMANTE.
Celui de fripon I
PANDOLFO.
Fripon! moi, Pandolfo?
BRAMANTE.
Tes dés sont pipés, traître!
Et mon argent volé. .. mais j'en suis encor maître ;
El si lu l'as jamais...
PANDOLFO, lirmii son poi<jnard,
IJraiiKuite, cinq ducats?
LAURENT DE MEDICIS.
21
Tu me les dois...
BRAMANTE.
Vraiment?
Il se lève, et lire aussi son poignard.
Viens les prendre, en ce cas.
Viens , que je voie un peu , mon vertueux Silène,
Combien de vin contient ton énorme bedaine...
PANDOLFO.
Âh I tu m'oses braverl
Il quitte sa place furieux, et s'avance le poignard levé sur
Bramante, qui paraît l'attendre de pied ferme. Au mo-
ment où ils vont se battre, parait Scoroucoulo.
fVVlVWVVVV1fWVVWV\'VV\VWW\VW\\^VWW\W\VV\VVVtWVV\VWVW
SCENE II.
PANDOLFO, BRAMANTE, SCOROUCOULO,
SCOROUCOULO, de la porte, deux énormes rapières
sous le bras.
Tout beau, mes champions!
Est-ce ainsi qu'on se range à mes instructions?
Rengainez, s'il vous plaît, ou le premier quibouge,
Qui fait un pas, vivant ne sort pas de ce bouge.
Bramante et Pandolfo interdits rengainent leurs poi-
gnards.Scoroucoulo ferme la porte à clef, et va de'poser
ses deux e'pe'cs sur la table.
SCOROUCOULO, à la vue des pots vides.
Diantre! je ne suis plus surpris de tant d'ardeur.
Mes gaillards à Bacchus ont si bien fait honneur,
Que n'ayant plus de quoi calmer leur soif brû-
[lante,
Il leur fallait du sang. . . Approche ici, Bramante . . .
Toi, viens là, Pandolfo...
Tous deux sur cette injoaction viennent, en chiens har-
gneux, se ranger près d« lai, l'un à droite, l'autre 'a
gauche.
Je ne suis pas content.
Je vous l'ai déjà dit : un motif important
A voulu qu'en ces lieux tous deux je vous ras-
[semble.
Nous avons à l'avance arrêté prix ensemble...
Pour six ducats chacun, vous vous êtes vendus.
BRAMANTE.
C'est pas cher...
SCOROUCOULO.
Bah! vraiment, quand vous seriez pendus,
Je vous demande un peu, porteurs de telles faces,
Si ce n'est point payer vos deux laides grimaces...
Mais laissons ce chapitre... ou cher, ou bon mar-
[ché.
Ce fut là votre prix, et vous l'avez touché...
Donc, vous m'appartenez pour cette nuit, mes
[braves;
Donc, de mes volontés vous êtes les esclaves,
A m'obéir en tout prêts au moindre signal,
Sans demander pourquoi, ni si c'estbienoumal...
Car du pacte entre nous telle est la clause ex-
[presse.
Cela n'est-il pas vrai ?
BRAMANTE.
C'est vrai...
PANDOLFO.
Je le confesse...
SCOROUCOULO.
Et d'où vient donc alors, vous êtes bien osés!
Qu'ici sans mon aveu de vous vous disposez ?
Depuis quand a-t-on vu qu'entre eux les loups se
[mangent?
A vos côtés, mes fils, vos dagues vous démangent?
Patience... sur vous au lieu de travailler.
Attendez la besogne, on va vous en tailler...
Si mes prévisions ne se sont point trompées,
Vous serez satisfaits... Vous voyez ces épées...
Prenant l'une et la donnant à Bramante.
L'une est pour toi. Bramante.
Donnant l'autre à Pandolfo.
Et l'autre, sans fourreau,
Te revient de plein droit, mon Hercule tonneau.
A dégainer, tu sais, tu n'es pas toujours leste ;
Ainsi, flamberge auvent, tu deviendras pluspreste.
Maintenant, de côté tout sentiment haineux...
La main chacun...
PANDOLFO, se révoltant.
Qui? moi?
SCOROUCOULO.
Pandolfo, je le veux.
PANDOLFO.
Mes cinq ducats, d'abord ?
SCOROUCOULO.
Comment! telle est la source...
PANDOLFO, vivement.
Il m'a volé.
BRAMANTE , de même.
C'est lui.
SCOROUCOULO.
Silence ! De ma bourse.
Tiens, voici ton argent...
Il tire la hoursc que lui a ri'iiiisu I.;uu'ent à raiilio acte,
et en liii. cinq ducats qu'il donne à Pandolfo.
Es-tu content?
PANDOLFO.
C'est bien!
BRAMANTE, inurmurant tout bas.
Bon, le fripon a tout... l'honnèle homme n'a rien.
SCOROUCOULO, clicrchant cinq autres ducats.
Autant pour toi. Bramante.
BRAMANTE , avec joie.
Ah!
SCOROUCOULO, à part.
Ce n'est pas la peine
De faire un jaloux.
Haut, lui tendant l'argent.
Tiens...
BRAMANTE.
Merci, mon capitaine !
SCOROUCOULO.
Je pense qu'à ce prix nous voilà tous d'accord.
Que l'on ne s'en veut plus?
BRAMANTE, Icnd latnain à Pandolfo, qui l'accepte.
Non, chacun avait tort.
SCOROUCOULO.
En ce cas, enlevez tous ces restans d'orgie,
Ilaogez-moi cette table aussi de vin rougie».
22
MAGASIN THEATRAL.
Ouvrez cette fenêtre et renouvelez l'air;
Il fait trop chaud ici ; c'est un four, un enfer.
Sans doute, il faut du feu, mais pas un feu de
[ forge.
* Et puis, ça sent mauvais... l'ail vous prend à la
[gorge.
Quand on attend quelqu'un, sans être des gour-
[mets,
On a du savoir vivre... on choisit mieux ses mets.
En un instant tout est remis en ordre. Le feft est amorti,
la table rangée et les deTiris du souper enlevés.
Bien ! à présent, montez au-dessus, faire un somme,
vos armes près de vous... surtout, je vous en
[somme.
Point de nouveaux débats, ni querelle, ni bruit.
Bramante passe le premier.
PiJCDOLFO, avant de le suivre,
Y voit-on î
sràMANTE , du fond de la coulisse.
Pas trop clair.
SCOROUCOCLO, poussant Pandolfo par les épaules.
Là-haut, la lune luit.
Il referme la porte sur eux et donne un tour de clef ; à
peine a-t-ilfîni, qu'on frappe à la porte d'entrée.
On y va.
Avant d'ouvrir.
C'est vous, maître?
VOIX, du dehors.
Ouvre.
Entre Laurent.
W\%(VWVWiV\.\WW\'VVVVVVt'VVVVVWV\A\'Vtv'VWV\W\VWVVVWVWW\/
SCENE m.
SCOROUCOULO, LAURENT.
LACREKT, enveloppé dans son manteau.
Le ciel confonde
L'hôtesse et le logis, toi-même et tout ton monde I
Perds-tu l'esprit, dis-moi?
SCOROUCOULO.
Comment donc?
LAURENT.
Es-tu fou?
Montrant l'entrée.
Quoi ! ne point éclairer un si noir casse-cou I
Que tes pareils, mon cher, y grimpent sans lu-
[ micre,
Je conçois... l'ours la nuit retrouve sa tanière.
Et vous autres bandits, argus de carrefour.
Vous y voyez dans l'ombre encor mieux qu'en plein
[jour.
Mais des ténèbres, moi, j'ai fort peu l'habitude;
Et peu s'en est fallu, tant l'escalier est rude,
Avec sa rampe en corde et ses degrés à pic,
Que je n'aie en tombant, fait un sot pronostic.
Munlranl une lampe à Scoroucouli).
Vite, une lampe en bas... va...
SCOROUCOULO.
Puurla compagnie,
Une seule sufCt.
LAURENT.
C'est sans cérémonie.
Mets-la le long du mur, au tournant du palier,
De façon qu'en entrant on trouve l'escalier.
Scoroucoulo sort emportant une des deux lampes. Pen-
dant ce temps, Laurent se débarrasse de son manteau, et
jette dans un coin une échelle de corde qu'en dessous il
tenait cachée.
VVWV\\V\/V\W1«VV%VVVVWVV\w\vv\VW\A<VW\v-VWVtW\VX\;VVVWVVV
SCENE IV.
LAURENT, seul.
Enfin, m'y voilà donc!... c'est là, sur ce théâtre,
Que tu vas triompher, mon zèle opiniâtre!
0 moment que mes vœux ont tant sollicité,
Heure de la vengeance et de la liberté,
Encore cette nuit... et Florence peut-être.
Veuve de son tyran, aux beaux jours va renaître.
Jadis, lorsque Brutus de sa vaillante main
Consentit à frapper l'usurpateur romain,
II dut, quand vint le jour de cet acte suprême.
Regarder en arrière et douter de lui-même...
Car dans Julius Cœsar, de l'univers vainqueur.
Sous la pourpre du moins battait un noble cœur.
De généreux lauriers, cueillis au Capitule,
Il marchait le front ceint comme d'une auréole...
Après vingt ans de guerre, heureux de son repos.
Le peuple enfin l'aimait, c'était là son héros ;
Et tel fut envers lui l'aveuglement de Rome,
Que, mort, on le pleura comme on pleure un grand
[homme.
Mais toi, des Médicis l'opprobre, 6 duc bâtard !
Quel remords de ton sein écarte le poignard?
As-tu quelques vertus qui rachètent tes vices?
Débauche, exactions, cruautés et supplices.
Voilà les seuls soutiens de ton sceptre de fer.
Rongeant Florence au cœur, comme un affreux
[cancer.
Chaque jour, sans pitié, sans que son cri t'effraie.
Tu la dévores, monstre! agrandissant sa plaie !
Meurs donc... mcuis... que ce lieu soit ton digne
[tombeau.
Le juge est prêt... t'attend...
Montrant Scoruucuulo qui rentre.
Et voici le bourreau !
VVWVVVVVV\WVV\VVVVVWW^WVVW\VV\'\\\\'VVViVV»VV%VV\W\VV\VV
SCENE V.
LAURENT, SCOROUCOULO.
LAURENT.
Scoroucoulo ?
SCOROUCOULO.
Seigneur?
LAURENT.
OÙ sont donc tes deux hommes?
SCOROUCOULO.
Là-haut... couchés...
LAURENT.
C'est bien. Au point où nous en sommes^
Je dois sans cul détour m'cxpliquer avec toi.»
LAURENT DE MEDICIS.
23
Je vais le faire... avant cependant, montre-moi,
Toi, qui sais le local, comment-il se comporte.
Faisons rapidement...
Désignant la première porte au fond à droite.
OÙ mène cette porte?
SCOROUCOCLO.
A l'étage au-dessus, par ce couloir obscur.
LAURENT.
A gauche, à droite, au fond, qui le ferme?
SCORODCOCLO.
Le mur.
L'escalier prend au bout,
LAURKIHT, montrant la deuxième porte.
Ceci?
Scoroucoulo l'ouvre.
SCOROUCOULO.
C'est une pièce
Sans issue et sans jour.
A mi-voix.
Vrai boudoir de Lucrèce.
LAURENT.
Ahl grâce des détails.
Allant vers la porte d'entre'e.
Tout-à-l'heure, à tâton,
Quand j'allais affrontant cet antre de Pluton,
En bas, j'ai sous ma main senti fuir la muraille.
Et mon pied d'une marche a reconnu l'entaille...
Quel est ce vide ?
SCOROUCOULO.
C'est le passage voûté
Qui mène au pavillon avant nous arrêté. ..
Vous savez...
LAURENT.
Oui, je sais... d'un seul côté, du nôtre,
La porte ouvre, je crois?
SCOROUCOULO.
Vous l'avez dit: de l'autre.
Impossible d'entrer...
LAURENT.
Bon, cela me suffit.
Péfie à présent mes mots, et fais-en ton proGt.
SCOROUCOULO.
Parlez; j'ouvre l'oreille, et suis tout à vous, maître.
LAURENT, l'amenant ■près de la fenêtre.
Au-dessus de l'Arno, tu vois cette fenêtre;
D'ici, jusqu'au niveau de ce quartier de roc.
Contre lequel de l'eau vient s'amortir le choc,
|Que comptes-tu de pieds?
SCOROUCOULO.
Oh! la distance est bonne!
Quarante pour le moins... Malheur à la personne
Qui voudrait essayer d'un saut si périlleux :
Je réponds, à coup sûr, qu'on n'en ferait pas deux.
LAURENT, à part.
Nul moyen de salut. . . quoi qu'il tente et qu'il fasse,
S'il entre, il est perdu!
Haut à Scoroucoulo,
Sur l'autre rive, en face.,
En amont du jardin Pitti, regarde bien...
SCOROUCOULO, s'orientant.
J'y suis.
LAURENT.
Au long des murs, ne distingues-tu rien?
SCOROUCOULO.
Pardon. J'aperçois là briller une lumière...
On dirait une barque amarrée en rivière.
Quelque pêcheur sans doute. .. ah ! oui , car loin du
[port...
Tenez, voilà l'esquif qui va virer de bord.
LAURENT, avec une joie farouche.
Il vient?
Il regarde par la croise'e.
Oui, c'en est fait, sous sa mauvaise étoile,
Par l'enfer inspiré, le voilà qui fait voile!
Prenant Fcchelle de corde.
Avec moi, vite à l'œuvre... à ces barreaux de fer
Accroche cette échelle.
SCOROUCOULO, tout en Vaidant.
Eh I mais, par Lucifer,
De quoi donc s'agit-il? par cette étrange voie
Vous attendez quelqu'un, maître?
LAURENT.
J'attends ma proie !
Prenant Scoroucoulo à l'e'cart.
Écoute : mainte fois tu m'as dit que ton bras,
Ton sang m'appartenaient...
SCOROUCOULO.
Je n'en disconviens pas.
LAURENT.
Qu'un dévoûment aveugle et que rien ne balance
Me répondait de toi dans toute circonstance?
SCOROUCOULO.
Je l'ai dit.
LAURENT.
Eh bien, donc, puisque tu t'en souviens.
Prodigue de sermens, voyons si tu les tiens.
Il le ramène à la fenêtre.
Au pied de ces brisans, dans l'instant cette barque
Va venir aborder... un seul homme débarque.
Un seul ! et l'imprudent auquel par ce chemin
J'ai dit de prendre, afin qu'une fois sous ma main,
Sa trace à tous les yeux disparût comme celle
Qu'imprime au sein des eaux cette frêle nacelle;
Sur un simple signal...
Montrant un hucbet pendu à sa ceinture.
Par ce cor reconnu.
Monte aussitôt vers nous. C'est ainsi convenu.
Tandis que je l'accueille avec assez d'aisance
Pour du moindre danger ôter toute apparence...
Toi cependant, caché dans ce couloir obscur,
Tu te places sans bruit, debout contre le mur.
Tes bravi près de toi, chacun droit comme un terme,
Tenant son glaive nu d'une main sûre et ferme.
J'ignore ce que peut durer notre entretien ,
S'il sera long ou court, car cet homme est chrétien,
Et bien qu'il ait vécu comme un païen infâme.
Je dois lui dire : A. Dieu recommande ton ame I
Mais, quelque temps qu'il dure, et quelque évé-
[nement.
Qui vienne à la traverse en ce fatal moment.
Vous ne bougerez point, ni les uns ni les autres.
Que ma voix n'ait cric : Florence ! à moi les nôtrôSÎ
A ce signal alors tous trois vous agirez.
S4
MAGASIN THEATRAL.
Et sans pitié, sans crainte, au coeur vous frapperez !
SCOROCCOULO.
Nous frapperons, seigneur... à moins, il faut s'en-
Que ce ne soit Strozzi. [tendre,
LADRENT.
C'est le duc Alexandre I
SCOROCCOULO, avec terreur.
Le duc!
LAURENT.
Eh quoi! vas-tu, par hasard, dire non?
Tu trembles, tu pâlis en présence d'un nom?
Insensé! sache donc que du trépas du traître
Dépend en ce moment tout ton salut peut-être...
L'écrou par toi levé, l'ordre écrit de ta main:..
Le duc sait tout! s'il vit, toi, l'on tependdemaini
SCOROUCOULO.
Il se peut?
tAURENT.
Les archers au seuil de ta demeure
Déjà sont embusqués.
SCOROUCODLO.
Eh bien ! que le duc meure 1
Le sort en est jeté.
LAURENT, se penchant en dehors de la croisée.
Silence! les voici.
Va, retiens le signal... moi, mon poste est ici.
Scoroucoulo s'engage clans le couloir. A peine a-t-il dis-
paru, qu'on cntcud au pied des rochers un appel sur le
cor. Laurent prend son liucliet et le re'pète. Moment de
silence. La main sur l'e'clielle.
II monte !
Faisant le geste d« dctaclier l'c'cliclIe.
Oh! que nepuis-je au milieu de l'abîme...
Hais non!...
Regardant en Las le Duc qui grimpe.
Sur l'échafaud ainsi monte le crime :
Laissons-le donc gravir, le chemin n'est pas long,
Et tendons-lui la main au dernier échelon !
 CCS mois, le Duc paraît à la fenêtre.
V\VVVVVVVVVVWVWVV\VWWVW\VV\VV\(VV\WVVWIWVWVVIVWVVVW
SCENE VI.
LAURENT, LE DUC, enveloppe d'un manteau,
un masque à la main.
Le pied là, duc.
LAURENT.
LE DUC.
Ici?
LAURENT.
Non, plus loin.
LE DUC
Sur la pierre?
LAURENT.
Vous y voilà, très-bien!
Donnant la main au Duc,
Maintenant, pied à terre t
Le Duc tautc et arrive en scèoc avec Laurent.
LE DUC.
Ouf!quclmdiierstupidectsaugrenu, moucher,
De se hisser ainsi trente bons pieds en l'air,
^Blïo U ciel et l'eau, comme, dans la tempôte,
Grimpe au mât le marin!... un vertige à la tête,
Et c'en est fait de vous. ..Au diable tant de soins!
Venir au rendez-vous, seul, masqué, sans témoins.
En héros d'aventure à la vénitienne,
Par la fenêtre entrer. . . oh ! c'est par trop de peinel
Et de par mon duché, c'est la première fois
Que l'amour exigeant me fit si rudes lois.
LAURENT.
Qu'importe si, prodigue envers vous de tendresse.
Des obstacles ce dieu tient compte à votre altesse?
Vous savez, duc, souvent c'est au bout du chemin
Qu'après un long voyage on se repose enfin...
Vous êtes dans ces lieux au terme de la route.
Et vous n'en sortirez que bien payé sans doute.
LE DUC
Tu crois...
Faisant quelques pas.
Encor personne?
LAURENT.
Oh 1 non, c'est pour minuit.
L'on n'est pas en retard.
LE DUC.
Quel ignoble réduit!
LAURENT.
Vous trouvez?...
LE DUC.
C'est affreux.
LAURENT.
Juana vienne, et ses charmes
Pour vous l'embelliront.'
LE DUC, se débarrassant de son manteau.
Prends ma cape.
Laurent la lui retire; en dessous brillent un poignard et
une cpée.
LAURENT, indifféremment.
Et vos armes T
Vous les gardez, seigneur ?
LE DUC, comme se tâtant.
Mais... c'est gênant..
LAURENT.
De plus,
Peu galant... ledieuMars les quittait pour Vénus.
LE DUC, souriant.
Ah! le mot est choisi! Des amours la déesse
Ne valait pas Juana...
LAURENT.
Mars vaut-il votre altesset
LE DUC.
Flatteur!
Otant SCS armes et les donnant à Laurent.
Tiens !
S'ajustant devant une glaco.
Que dis-tu de ce nouveau pourpoint?
LAURENT.
Qu'il est du meilleur goût et ne vous messicd point.
Le Duc paraît en pourpoint de velours et s'ajuste devant
une mauvaise glace. Pendant ce temps Laurent, qui
a pris son poignard et son c'pc'c, va déposer le tout
dans le couloir oà Scoroucoulo est embusque arec
SCS Lravi. A part.
Le voilà désarmé!
LAURENT DE MEDICIS.
En passanlprcs Jela fcuilre il y jo tic un coup cVœilrapitle.
Mais, contre-temps funeste!
Impossible d'agir... en bas la barque reste.
LE DUC, Vappeluni.
Laurent!
LAURENT.
Plaît-il, altesse?
LE DUC , s'ajustant toujours.
Es-tu sûr et certain
Que Juana vienne?... ici, si j'attendais eu vain...
LAURENT, à part.
Et moi I
Haut.
Mais quel soupçon !...
LE DUC.
Souvent femme varie,
A dit le roi François; bien fol est qui s'y fie!
Je ne sais pas pourquoi, mais, malgré moi rêveur,
Croirais-tu qu'en partant, comme d'un doute au
Je me suis senti pris. [cœur,
LAURENT.
Vrai!
LE DUC.
J'ai craint quelque embûche:
Cette prude vertu qui tout-à-coup trébuche.
L'heure du rendez-vous, jusqu'à Pierre Strozzi,
Cet amant que Juana jadis avait choisi,
Tout ma fait réfléchir ; loin du palais nous sommes;
4ussi j'ai par prudence en bas gardéquatre hommes.
LAURENT.
Ce sont de vos gens?
LE DUC
Oui, des gars déterminés.
LAURENT, Ô part.
Diantre!
LE DUC.
Ils ne s'en iront, mes ordres sont donnés,
Que quand, passé le seuil, j'apercevrai la belle.
LAURENT.
Mais qui le leur dira?
LE DUC
La chute de l'échelle
Que je leur renverrai.
LAURENT, à patt.
Sort fatal ! je suis pris,
A moins qu'elle ne vienne.
Haut.
En homme bien appris,
Si j'allais en ce cas devant la porte ouverte
Faire un peu faction, Duc, laïuelle est déserte.
Et seule en ces quartiers, à cette heure de nuit,
Juana peut s'effrayer. .
LE DUC
Va.
Comme Laurent est toiilic la porte, une liorloge sonne.
Quelle heure ?
LACHENT.
Minuit.
Il sert, et, profitant du raomcnloù le Duc tlelourncla Icte,
il ji itirc la ciel' cl l'emporte.
i\\\\\\X'V.\\VV\\»V\V\\\\\\.\\l\.VHV\».\\\\VVV\V\VV\\\\\V\WV\\VV
SCENE YII.
LE DUC, seul comptant l'heure.
Minuit !
Il s'approche tle la croisc'e.
La ville dort, et dans Florence entière
A peine brille au loin une rare lumière.
Naguère pleine encor de bruit, de mouvement,
La ruche est assoupie... aucun bourdonnement.
Tout est calme et repos...
Revenant en scène.
Dormez, peuple d'abeilles,
Parasites frelons, les grands comptent vos veilles;
Bloi, j'aime mieux, placé sur ce volcan qui bout,
Voir le peuple couché que de le voir debout:
Alors, point de complots qui se trament dans
[ l'ombre,
Point de ces noirs projets qu'en son désespoir som-
[bre
Enfante l'insomnie au farouche regard,
Et qui nous font au jour rencontrer un poignard.
Se rapprocliant de la fenêtre.
Que d'étoiles au ciel ! entre l'Ourse et l'Arcture,
Là-haut, voilà la mienne ctincelanfe et pure...
Brille long-temps ainsi, dans ta splendeur égal,
Astre, que mon bonheur a pris pour son fanal...
Avant de ra'avertir par ta clarté ternie.
Tel qu'un flambeauqui meurt, que la fête est finie,
Laisse-moi, gai convive, emplir jusques aux bords
La coupe de la vie, y noyer le remords.
Et quand j'aurai vécu, que viendra l'heure où bàiilo
Le plaisir qui s'endort... alors, sur la muraille.
Qu'à ta pâle lueur, parle le doigt de Dieu,
Sans regret au festin je pourrai dire adieu!...
Ecoulant.
On monte... un pas furtif... Adorable marquise,
Est-ce toi?
Moment de silence. La main sur reclielle, il attend que la
porte s'ouvre. Juana paraît.
D'honneur, oui, oui: d'assaut la place est prise
Plus d'échelle...
11 détache l'échelle, la jette, et ferme la croisée.
ax-vwvvvwvwwwwwvwvKWVwwwwvvwwvvwvwwwwwww
SCENE VIII.
LE DUC, JUANA.
JUANA, en entrain, croyant voir Strozzi.
11 m'attend, merci, mon Dieu, merci I
Elle s'avance rapidement vers lcDuc,qui lui tourne le
dos, occupé qu'il est à fermer la fenêtre, cl le prenant
pour Strozzi.
Oh! je suis en retard; depuis long-temps ici
Je devrais être... mais...
Le Duc se retourne.
JUANA, reculant à son aspect.
Le duc !
26
MAGASIN THEATRAL.
LE DCC.
A notre vue,
Eh bien ! quelle frayeur!
Il va pour s'avancer vers elle cl la rassurer.
Enfant!
JUANA.
Je suis perdue I
0!» : ne m'approchez pas, monseigneur, laissez-moi
Sortir dici...
LE DUC, se meltanl entre elle cl In porte.
Sortir! Eh ! ma belle, pourquoi?
JUANA.
OÙ suis-je en tréc? ô ciel ! mais c'est un pidge infàmel
LE DUC.
Un piège !
Rianr.
Ah bien! parfait, et voilà, sur mon ame,
T'n mot délicieux dit à faire plaisir:
Vous jouez, entre nous, l'ingénue à ravir!
Maisc'est trop plaisanter... En entrant, machar-
[manle.
Vous rachetiez d'un mot les longueurs del'uttcnte;
J'aimais mieux ce langage, et votre douce voix...
JUANA.
O seigneur duc, pitié! grâce'... Encore une fois ,
Souffrez que je m'éloigne...
LK DUC.
Y songez-vous, madame?
JUA>A.
De votre honneur, hélas ! mon honneur se réclame.
Oh! soyez généreux !...
LE nrc.
Alors, expliquons-nous,
Ou,vraiDieu!jem'y perds.. Ici j'ai rendez-vous.
J'y viens...
Montrant son masque.
Hl'enveloppant du plus sombre myslcre...
Seul...
Montrant la croisée.
Et par un chemin qui n'est pas ordinaire...
Etquand l'espoir au coeur, j'ai long-temps attendu,
Vous paraissez pour fuir ! Kl le |)rix qui m'est dû,
Le prix do cet amour qu'une rigueur hautaine
Désespéra souvent, qu'en fait-on, inhumaine?
A q-ii le garde-t-on? et quel secret dépit
Vous fait ainsi manquer vous-mômc à votre écrit?
Il lire le LlUcL de Ju.iua.
JUANA.
Un billet!... de ma main?
LK DUC.
Voyez si je m'abuse...
Il le lui lionne.
lUANA, atu'aniie.
Ma lettre !oh!jccomprends...queIleinfernaleruseI
Qui vous remit ce mot, seigneur?
LB DUG.
„ , . ... Doute charmant!
tclni qui l'a reçu ..
lUANA.
Pour vous? Le fourbe ment!
Dansma franchise, hélas! je crains que votre altesse
Ici d'un tel aveu ne s'irrite et se blesse...
JMais enfin, je le dois, malgré votre courroux!
Duc, ce mot vient de moi, mais n'était pas pour
voiu!
LE DUC.
Il se peut? Pour qui donc?
JUANA.
Pour un homme que j'aime.
Dont je suis la fiancée, auquel cette nuit môme
J'ai juré de m'unir par un nœud solennel...
LK DUC.
En ces lieux?
JDANA.
En ces lieux...
LE DUC.
Ah! c'est là votre autel!
Je vous fais compliment... un temple de débauche'
Madame, ici l'hymen se fait de la main gauche-
Votre amant vous trompait, et puisque le hasard
Ou d autres m'ontservi, d'amour je veux ma part...
Allons, un seul baiser, ô beauté trop farouche!
JCANA, se défendant.
Hélas, Seigneur mon Dieu, comment rien ne vous
V . , [ touche?
Vous voulez donc me voir mourante à vos genoux?
A ses pieils.
0 duc! respectez-moi... partant, respectez-vous!
Vous avez dans Florence une foule de femmes
Bien plus belles que moi. nobies et grandes dames,
Qui, si vous arrêtiez sur elles votre choix.
Sans doute avec orgueilaccepteraientvos lois..:
Mais moi, je ne puis pas être à vous, je vous jure.
^ LB DUC.
Erreur!
JUANA.
Non... non, jamais ! je me dois chaste et pure
Aquelqu'unquej'aimai...c'estuncontrataDcien.
DE DUC.
Sot préjugé, ma chère... un contrat n'y fait rien.
L'amour n'en connaît pas.
JUANA.
Eh quoi! par violence
Vous briseriez des nœuds qu'a resserrés l'absence!
0 duc, d'un triple airain votre cœur n'est poinj
[ceint:
lout noble sentiment en vous n'est pas éteint...
Prenez pitié de moi... rendez-vous à mes larmes;
Faible fcnune, je n'ai contre vous que ces armes.
Au nom du Dieu puis.santqui pour lui ressembler
Fit les gr.uids ici-bas, laissez-moi m'en aller!...
LE DUC, à part.
Noyée ainsi do pleurs, comme elle est ravissante!
Que jainie ce regard, cette voix suppliante!
Et c'est Slro/zi I
li i.i [iiind l)rusr|ui'nic
Juana!
JUANA.
Grâce!
LE DUC.
par
Icl.r
Voulez-vous tUrc à moi 7
De par l'enfer.
LAURENT DE xMEDICIS.
27
JUANA, se relevant et regardant avec terreur au-
tour d'elle.
Nulle arme ! pas un fer !
Au Duc avec ernergie.
Plutôt la mort!
LE DCC, la saisissant et cherchant à Ventraîner
vers le cabinet,
£h bien! ma timide colombe,
Aux serres de l'autour il faut que l'on succombe.
JUANA, résistant.
Au Secours 1... 0 mon Dieu!
LB DCC, ouvrant la porte du fond.
Personne ne t'entend...
Le ciel est sourd.
LAURENT, une êpêe à la main.
Non pas, sa justice t'attend !
A ces mots, le Duc, étonné, se retourne et lâclie Juana;
celle-ci, libre et la tête perdue, passe derrière lui et se
jette dans le cabinet entr'ouvert, où elle s'enferme.
Laurent et le Duc restent en présence.
WVWWVWWWVWWWWVWVWWVWWWVWWVWVVWWVWVWVIV
SCENE IX.
LE DUC, JUANA, enfermée, LAURENT.
LE DUC. D'uge
Que vois-je? toi, Laurent? Et quel pouvoir t'ad-
Le droit d'entrer ainsi?
LAURENT.
L'autorité du juge?
LE DUC.
Que dis-tu là?
LAURENT.
Je dis qu'aussi vrai qu'en ce lieu
Votre bouche d'un mot vient de blasphémer Dieu;
Aussi vrai qu'à ma main resplendit cette épée,
De votre main trop tôt par mégarde échappée...
Aussi vrai, vous devez profiter des instans
Que je vous laisse, duc... priez, il en est temps !
LE DUC.
Malheureux, es-tu fou? quel horrible délire
Égare ta raison?
LAURENT.
Je m'en vais te le dire.
Il croise les bras , et , l'épée toujours dans la main
droite, fait quelques pas vers le Duc.
Florence était esclave... à son vieux gonfanon,
Un homme... un Médicis, indigne de ce nom,
Foulant aux pieds ce legs de sa splendeur dernière,
Avait substitué son glaive pour bannière...
Plus de franchises, plus de libertés, de lois;
Plus de sainte justice.
LE DUC, avec rage.
O fureur 1
LAURENT.
Aux abois,
Sous l'épieu du tyran, comme une bote fauve
Qui se débat et meurt sans espoir qu'on la sauve,
La patrie expirait, et de sanglans lambeaux
A leur part de curée invitaient les bourreaux.
Ce n'était point un règne. . . oh ! non, je t'en atteste
Ciel, qui d'un tel fléau nous fis le don funeste!
C'était tout ce que peut enfanter d'odieux
L'égarement d'un fou, mais d'un fou furieux!
Le Duc veut faire un pas vers la porte. Laurent le tient
en respect avec son épée.
Arrière! écoute encor...
LE DUC.
Misérable à deux faces !
LAURENT.
Je n'ai point achevé... Chaque jour sur nos places
Tandis que l'échafaud, au mépris des traités,
Suppliciait les gens de la veille arrêtés!...
Tandis que se signaient les exils, les sentences,
Au profit du trésor créant des déshérences.
Confisquant sans pudeur les biens de celui-ci,
Déclarant celui-là corvéable à merci...
La nuit, larron d'honneur, au sein de la famille
S'introduisait le vice, à l'un prenant sa fille,
A l'autre sa fiancée; infâme ravisseur.
Qui jusqu'au fond du cloître insultait au SeigneurI
Et tu t'imaginais, 6 comble de démence!
Te ruer impuni dans ce désordre immense?
Dieu se lasse à la fin. Duc, en lui si tu crois.
Implore son pardon pour la dernière fois 1
LE DUC.
Mais c'est un crime affreux ainsi m'ôter la yie?
LAURENT.
Rappelle-toi tous ceux à qui tu l'as ravie....
Vois dans Colle Vecchio, victime de l'orgueil,
Ta mère, avant le temps couchée en son cercueil,
Et montrant à son flanc la blessure livide
Qui t'accuse en silence, ô Néron parricide.
Vois Giacomo Fiorli, qu'un poignard dans le sein.
On trouva mort chez lui, dont tu sais l'assassin;
Car en vain un faux bruit courut de bouche en
[bouche;
Le meurtrier, c'est toi! toi, qui souillais sa couche!
Vois Nelli, vois Mazzan, contre un vil suborneur,
Au tombeau, toutes deux, confiant leur honneur...
Enfin vois dans Itry, le crédule Hippolyte
Acceptant le poison de ta main hypocrite I
Et dis après si c'est justice ou trahison,
Que ces morts par ma voix te demandent raison.
As-tu prié?
LE DUC.
Prié? Tiens, ma seule prière,
Entends-la bien, Laurent, à mon heure dernière :
Exécrable démon, vil et lâche serpent,
Qu'à mes pieds, insensé! j'ai ramassé rampant,
Et qui, tel que Satan, dans son indigne trame,
Pour perdre l'homme, encore eut recours à la
[femme !
S'il est un Dieu.. . qu'un jour sous un fermeurtrier
Un assassin te dise à ton tour de prier,
Et me venge sur toi, toi qui venges les autres!...
LAURENT, s'avançani vers le Duc l'épée haute.
C'est tout?
LE DOC.
J'ai dit !
28
MAGASIIS THEATRAL.
LAURENT.
Meurs donc !
Le Duc, accule, se jelle dans le couloir obscur où sont ca-
chés Scoroucoulo cl ses hravi ; à peine y a-t-il mis le
pied, que Laureut s'ccrie d'une y/w éclatante :
Florence! à moi les nôtres!
A ce signal, on entend, dans le couloir, un hiuit de pas et
uu cliquetis d'épées.
LB DUC, dans la coulisse.
Au secours! Trahison!
LAURENT.
Tes cris sont superflus,
Le ciel est sourd!
Le Duc, mortellement atteint et ses vêtcmensensanglante's,
reparaît a l'entrée du couloir; il se ramponne un instant
contrôle chambranle de la porte, chancelle, et tout-à-
coup tombe raide mort sur la scène ; à ce moment
sort Scoroucoulo, son épée nue à la main.
W\VIA<W\W\VW\>IW\WWV\VVt'VWWVVVAVV\V\AV\A\WVV\VVkVV\W\
SCENE X.
LAURENT, JUANA, enfermée, SCOROU-
COULO.
SCOROUCOULO, montrant le corps du Duc.
Seigneur, votre ennemi n'est plusl
LAURENT.
C'est bien. Mais notre tâche est encore incomplète;
Au pavillon voisin, par la porte secrète,
Cours vite... là, sans doute, une personne attend :
Prends-la, sers-lui de guide, et reviens à l'instant. . .
SCOROUCOULO.
J'y cours...
Il sort.
LAURENT, s'approcfiant du cadavre et le contem-
plant.
C'en est donc fait!... il a cessé de nuire...
Il le couvre d'un manteau.
Dieu te pardonne, ô duc!... L'aurore qui va luire
Ne t'arrachera point à ce sommeil de mort :
Mais demain... quel réveil pour Florence qui
[dort I...
Debout, peuple! à ma voix relève enfin la tête!
Pour toi, j'ai triomphé, je te rends ta conquête.
Parfois la liberté, ce céleste présent.
En çl'inliabiles mains est un fardeau pesant:
Qu'il n'en soit point ainsi. . maître de la puissance,
N'en fais jamais abus; l'abus c'est la licence...
Règne donc à ton tour, ô peuple souverain!
Mais règne avec la loi, ce salutaire frein I
On entend nu.nl. r r.i|M,l.n)eiil I', s.alici- voisin; à et bruit,
Laurent revient co Scène.
^\\'\ v\\^\%v\-\w\w\\
\ vv\ vv\ vwx v\\v\\ v\ www
SCENK XI.
L.\rURNT, .lUANA, crcnn^e; STROZZI, fépée
'■ him.iiii, SCOUOUCOULO, entrant toits deux
>■' (ij)iiuuimcnt.
r/A, aueÇ- l'accent d'un liuunnc qui n attendu
■[i-^f'ups el qui va enfui satisfaire sa ven^
■ III-,
'>"' "i. Laurent!
Ironiquement.
Avant qiK; de te joindre,
-utinonlionncui-. j'ai cru \uir ici le ji^urpi.iiidrc !
Mais nous sommes en face... Ainsi, trêve aux ois-
^ , , [cours...
Lommençons le combat.
Mettant l'épcc .i la main.
LAURENT, froidement.
Tu persistes toujours ?
STROZZI.
Si je persiste...? Eh! quoi, penses-tu que l'attente
Alt calmé lafureurd'uneameencorbouillunle...?
Cet homme est mon second...
LAURENT, Élevant la voix.
Ton second est battu :...
Car le mien...
STROZZI.
Quel est-il?
LAURENT, l'amenant près du cadavre du Duc qu'il
découvre.
Le voilà ! qu'en dis-tu?
STROZZI, Stupéfait.
O ciel ! il se pourrait... lui.. . le duc Alexandre !
LAURENT.
Lui-même...
STROZZI.
Eh ! quelle main ?
LAURENT.
Peux-tu donc t'y méprendre?
Le bras de Dieu, Strozzi, qui toujours s'est armé,
Pour venger l'innocent parle crime opprimé...
Du ciel depuis long-temps abandonné d'avance.
Cet homme était jugé... j'ai rempli la sentence...
STROZZI.
Mais tu nous servais donc?
LAURENT.
Avec le dévouement
D'un frère, en tous les temps fidèle à son serment. ..
STROZZI.
Et quand tu m'as trahi?
LAURENT.
C'était une mesure
Qu'exigeait ton salut.
Montrant le Duc.
Vois, me crois-tu parjure?
STROZZI.
Oh! non... je comprends tout, et ce sanglant té-
LAURENT. [moin...
Ne te suffirait pas, qu'un autre n'est pas loin.
Il ouvre le cabinet et en lire Juana pâle et défaite qu'i'.
amène par It main.
Venez, Juana.
STROZZI, « la vue de sa maîtresse.
Juana!
LAUIIENT.
D'un amour qui s'indigne
Calme le premier feu... Son cœurdu tien est digne.
Il pousse .luana vers Slrozzi ; clni-ti liésile un iiisl.inc ;
mais, i l'air suppliant de Juaua qui senihi.- prot.sl.i de
son innocence, il ouvre ses liras, .liiana s'y précroil.-.
Elle te dira tout... mais ce n'est pas l'instant :
Il nous reste a remplir un devoir important.
C'est d'armer nos amis, avant (jue celle aurore
Tr.iliissc un changcnienl qu'il faut cadicr encore.
Eloignons-nous tous doux par dillVrens chpiiiiiis.
Toi, gagne Alontc-Carle au pied des Apciiiii;;s :
Pazzy, Belnio:ite y .«ont... Aux l'iorentins liiiélcs.
Moi, je vais dans Prato proclamer ces nouvelles.
Lraiidissant son r'péu et faisant signe à Scoroucoulo de le
suivre,
Adieu ... Le rendez-vous, ici, dans la cité,
Demain, avec le jour, au cri de liberté!
P.ii i:;. — . Inli'ii:iV
•i:iU;rii' de M'i' V' DuN -•'îurBK, rue S.iinl-Loui;;, ■iO au Marais.